Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, chercheurs à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, ont lancé le 28 janvier la nouvelle édition de l’État de l’énergie au Québec. Cet ouvrage annuel, devenu un incontournable, présente les principales données énergétiques relatives à la Belle Province et donne de précieux points de repère tout en dissipant quelques préconceptions. On en trouvera ici quelques faits saillants, mais le lecteur curieux a tout intérêt à consulter le texte complet d’une soixantaine de pages, gratuitement disponible en ligne.
Le mérite des deux chercheurs n’est pas mince : les données sur l’énergie au Québec sont notoirement incomplètes et difficiles d’accès. Une partie du problème réside dans le partage pas toujours cohérent des responsabilités entre les gouvernements fédéral et provincial. Mais d’autres facteurs jouent : les longs délais de publication des données, les problèmes de confidentialité dans un contexte de faible nombre d’acteur énergétiques et la multiplicité des unités de mesure utilisées (joules, watts, barils, mètres cubes, tonnes, etc.).
Faits saillants
Le premier tableau présente le bilan énergétique global du Québec en 2018 – les données sont publiées avec un certain retard. Les sources d’énergie sont divisées entre sources locales et sources importées. À noter, le pétrole demeure légèrement plus important que l’hydroélectricité produite localement dans le mix énergétique québécois : 834 pétajoules (PJ) contre 796. Ce ne sont que les importations du Labrador qui permettent à l’hydroélectricité de dominer au Québec. Le gaz naturel est relativement peu important. Le tableau est sensible à la question de pertes de transformation, qui sont plus importantes que l’énergie utile réellement mise au service de Québécois.
Le deuxième tableau s’intéresse aux sources d’électricité au Québec. Il s’avère que l’hydroélectricité – produite par Hydro-Québec ou par les entreprises industrielles pour leurs propres besoins – représente 94 % de l’ensemble. Le secteur éolien pèse pour un peu plus de 5 % et tout le reste représente un peu moins de 1 %. L’usage des carburants fossiles est marginal et réservé aux communautés nordiques et aux îles de la Madeleine, qui ne sont pas reliées au réseau. On peut remarquer le très faible poids de l’énergie solaire : à peine 0,001 % de l’électricité produite au Québec.
Cet autre graphique présente les variations de la consommation d’électricité sur 24 heures, selon la saison. La consommation moyenne est de l’ordre de 20 000 MW, mais elle varie d’un facteur de un à trois au cours de l’année, entre la journée d’été où la demande est minimale (12 465 MW) et la journée froide d’hiver où elle atteint des sommets (36 252 MW). Alors qu’Hydro-Québec nage dans des surplus d’hydroélectricité en été, il n’est pas rare qu’elle doive importer de l’énergie en hiver.
La consommation énergétique du Québécois moyen est le double de cette d’un Allemand. La différence est particulièrement marquée dans le domaine de la production industrielle et du transport. Les explications traditionnelles (le climat, l’étendue du territoire) ne justifient pas une différence aussi marquée. Pierre-Olivier Pineau dénonce depuis un moment l’inefficacité énergétique du Québec et ces données ajoutent du poids à son argumentaire. La chasse au gaspillage devrait devenir une priorité. Pour ceux qui se demandent ce qu’est un « usage non-énergique », il s’agit le plus souvent d’hydrocarbures utilisés non pas comme carburant, mais comme matière première industrielle : plastiques, solvants, lubrifiants…
Ce graphique s’intéresse aux sources d’énergie de divers secteurs d’activité au Québec. On constate que les secteurs industriel, commercial et institutionnel sont déjà électrifiés à plus de 75 % et le secteur résidentiel, à près de 75 %. Mais l’immense secteur des transports repose encore sur le pétrole à 97 %. On notera aussi que l’industrie demeure le principal consommateur d’énergie au Québec. Le secteur résidentiel, était relativement petit et déjà très électrifié, n’offre qu’un modeste potentiel de sortie des carburants fossiles et de réduction des gaz à effet de serre.
Si l’on regarde plus spécifiquement du côté de la consommation d’énergie dans le secteur des transports, on note que les véhicules personnels représentent 50 % de l’ensemble, contre 35 % pour le transport des marchandises et 15 % pour le transport de passagers. Le transport aérien représente la part du lion de cette dernière catégorie et 13 % de l’ensemble – pratiquement autant que les camions lourds. Compte tenu de la place importante qu’occupent les transports dans la consommation de carburants fossiles au Québec, on devine que la part du transport aérien dans les émissions québécoises de GES dépasse de loin la moyenne de 2 ou 3 % enregistrée à l’échelle mondiale.
La répartition des carburants utilisés dans les transports reflète les données du tableau précédent. L’essence représente 59 % du total, contre 24 % pour le diesel et 13 % pour le carburéacteur (carburant pour avions à réaction). L’éthanol mélangé à l’essence ne représente que 2 % du total et le biodiesel est pratiquement absent. La part de l’électricité est minuscule, 0,3 % et les principaux utilisateurs ne sont pas les véhicules électriques, mais le métro de Montréal! Au total, la part des renouvelables est passée de 0,3 % en 1990 à 2 % en 2018. Autant dire que ce secteur piétine.
Le graphique suivant présente la consommation totale de divers secteurs industriels, ainsi que leur mix énergétique. On voit que les secteurs de l’aluminium/magnésium et des pâtes et papiers représentent à eux seuls plus de la moitié de la consommation énergétique du Québec. La production d’aluminium est très électrifiée par définition et on ne sera pas surpris d’apprendre que le secteur du papier fait une large part à la biomasse, afin de valoriser ses résidus. La place importante qu’occupe l’électricité dans le secteur minier étonnera sans doute certains lecteurs. On notera aussi l’absence quasi complète du charbon dans ce tableau.
Ces deux graphiques décrivent la consommation d’énergie dans le secteur résidentiel. Le chauffage représente naturellement la part du lion de la consommation, mais on sera plus étonné de voir que la climatisation ne représente que 2 % du total, soit la moitié du poste déjà modeste de l’éclairage. La domination de l’électricité dans le mix énergétique résidentiel n’est pas une surprise, mais il est plus étonnant de constater qu’on utilise trois fois plus le bois que le gaz naturel. Le mazout (« huile à chauffage »), si répandu jusque dans les années 1980, a à peu près disparu du paysage.
Pour finir, quelques mots sur les gaz à effet de serre, qui sont ici répartis en fonction du secteur d’activité émetteur. Le transport représente sans surprise près de la moitié du total, mais on sera plus surpris d’apprendre que 28 % des émissions ne dépendent pas de la source d’énergie utilisée. Ils sont soit le résultat de la fermentation de résidus (agriculture, sites d’enfouissement) ou de procédés industriels (le calcaire se transforme en ciment en se débarrassant de son carbone excédentaire sous forme de CO2). Pour ceux que la question intrigue, les halocarbures sont de puissants GES émis en petites quantités lors de la production d’aluminium.
Ce bref survol ne couvre pas certains sujets abordés dans l’ouvrage, en particulier les filières émergentes de l’hydrogène et du biogaz. Les chercheurs font un bon travail de collecte des maigres données disponibles et discernent bien la réalité actuelle des projets en cours de développement ou qui demeurent incertains. Les chercheurs s’intéressent aussi à l’évolution rapide du marché de l’automobile. Depuis 2015, les VUS et autres camions légers énergivores envahissent rapidement le marché de l’automobile et au rythme actuel, la voiture classique pourrait avoir disparu dès 2026.
Divulgation : J’ai travaillé avec Pineau et Whitmore dans le cadre d’un projet de recherche en 2018, et Pineau est actuellement l’un des codirecteurs de mon projet de mémoire de maîtrise en management à HEC Montréal.
Source :
Whitmore, J. et P.-O. Pineau, 2021. État de l’énergie au Québec 2021, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, préparé pour le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Montréal.