La récente étude de KU Leuven sur les métaux de la transition a fait bondir bien des gens lorsque les médias ont révélé que la demande en lithium de l’Europe allait bondir de 3 500 % d’ici 2050. Mais ce chiffre alarmant est trompeur. D’une part, il ne représente que le lithium utilisé dans la fabrication de batteries, domaine dont l’Europe est presque absente en ce moment. D’autre part, les besoins de l’Europe ne représenteront que 11,7 % de la demande mondiale de lithium en 2050, ce qui est élevé, mais pas excessif. La part des autres métaux sera encore plus faible, de l’ordre de 2 à 3 % seulement.
L’étude Metals for Clean Energy, publiée par KU Leuven en avril 2022, propose deux scénarios de croissance pour la transition énergétique, que nous ne détaillerons pas ici. Elle couvre non seulement les besoins de production électrique (panneaux solaires, éoliennes, etc.), mais aussi les besoins de stockage et ceux de la production de voitures électriques, pour divers métaux courants. Elle propose une croissance rapide en mode rattrapage visant à sortir l’Europe de sa dépendance envers d’autres régions pour ces produits.
Premier constat : Pour la plupart des métaux étudiés, la croissance de la demande à des fins de transition est rapide (de 3 à 5 % par année, parfois plus) mais reste le plus souvent dans les limites des taux de croissance historiques de l’industrie minière. Autrement dit, sauf certaines exceptions, l’offre de métaux devrait suivre la demande ou la manquer d’assez peu. Par ailleurs, la nouvelle demande destinée à la transition reste relativement modeste par rapport à la demande industrielle totale qui est déjà en place.
Deuxième constat : Il n’est pas dit que la demande croissante de l’Europe pour les métaux de la transition doit nécessairement venir d’une production minière supplémentaire. Dans la mesure où le plan proposé par KU Leuven vise à rapatrier en Europe la production de biens qui sont déjà fabriqués ailleurs, il est clair qu’une partie des métaux nécessaires sera détournée de sa destination d’origine pour être réorientée vers l’Europe. Les métaux seront donc en partie réorientés – à la hauteur des besoins de production actuels – et en partie obtenus par une production minière supplémentaire, pour soutenir la hausse de la production.
Troisième constat : En dépit de tout ce qu’on dit sur les « énormes » besoins en métaux des énergies renouvelables, la hausse de la demande en métaux de transition sera alimentée à 50 à 60 % par l’industrie de l’automobile, contre de 35 à 45 % pour les installations de production électrique (solaire, éolien, réseau de transport et de distribution) et 5 % seulement pour les autres usages. La transition énergétique paraît donc relativement facile à satisfaire en métaux. C’est la dimension mobilité qui complique le projet de la transition.
Quatrième constat : Deux métaux seulement couvrent environ 80 % des besoins de la transition : l’aluminium et le cuivre. Comme l’aluminium est très abondant et que le pic du cuivre n’aura pas lieu dans un avenir prévisible, une bonne partie des besoins en métaux paraissent garantis, au moins pour les plus courants. Un bémol, toutefois. La croissance de la production prévue pour les divers métaux dans les projections de KU Leuven est-elle réaliste? Au-delà des limites géologiques possibles, on pourrait rencontrer des limites d’ordre financier, énergétique, logistique, etc.
Aperçu des métaux de la transition
KU Leuven divise les métaux de la transition en deux groupes. Le premier concerne les métaux de base – ceux qui seront décrits ci-dessous. Le rapport décrit aussi un second groupe de métaux utilisés en plus petites quantités. Beaucoup de ces métaux se comportent comme ceux du premier groupe : la hausse de la demande reste dans les limites de l’offre et la transition utilise moins de 10 % de la ressource disponible. Certains sont toutefois plus préoccupants. Il s’agit notamment des métaux du groupe platine et, dans une moindre mesure, de l’argent, de l’étain, du tellure et du scandium.
Aluminium. La demande pour l’aluminium va croître de 3 % par année environ, avec un pic à 3,7 % dans la prochaine décennie. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 4,5 % de 1990 à 2020, ceci ne pose pas de problème. La demande européenne totale sera de l’ordre 20 millions de tonnes en 2050, dont 5 destinées à la transition, soit 2 % de la demande mondiale totale.
Cuivre. La demande pour le cuivre va croître de 2,7 à 3 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 2,4 % de 1990 à 2020, ceci pourrait devenir un léger goulot d’étranglement. La demande européenne totale sera de l’ordre 6 millions de tonnes en 2050, dont 1,5 destinée à la transition, soit 2,1 % de la demande mondiale totale.
Zinc. La demande pour le zinc va croître de 1,2 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 2,7 % de 1990 à 2020, ceci ne pose pas de problème. La demande européenne totale sera de l’ordre 3 millions de tonnes en 2050, dont 0,3 destinée à la transition, soit 1,6 % de la demande mondiale totale.
Silicium. La demande pour le silicium va croître de 2,2 à 2,6 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 3,5 % de 1990 à 2020, ceci ne pose pas de problème. La demande européenne totale sera de l’ordre 900 000 tonnes en 2050, dont de 70 à 230 destinées à la transition, soit 2,7 % de la demande mondiale totale.
Lithium. La demande pour le lithium (en fait, le carbonate de lithium utilisé dans les batteries) va croître de 8,2 à 10,9 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 8,3 % de 1990 à 2020, ceci pose un léger problème dans l’un des deux scénarios étudiés. La demande européenne totale sera de l’ordre 700 000 à 860 000 tonnes en 2050, dont 600 000 à 800 000 destinées à la transition, soit 11,7 % de la demande mondiale totale.
Nickel. La demande pour le nickel va croître de 3,2 à 4,2 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 3,1 % de 1990 à 2020, il manque de nickel dans l’un des sécnarios étudiés. La demande européenne totale sera de l’ordre 800 000 à 900 000 tonnes en 2050, dont 300 000 à 400 000 destinées à la transition, soit 4,7 % de la demande mondiale totale.
Cobalt. La demande pour le cobalt va croître de 4,1 à 5,9 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 5,5 % de 1990 à 2020, ceci ne pose pas de problème insurmontable – l’arrivée de batteries à faible teneur en cobalt soulage déjà ce secteur. La demande européenne totale sera de l’ordre 80 000 à 100 000 tonnes en 2050, dont 50 000 à 60 000 destinées à la transition, soit 7,9 % de la demande mondiale totale.
Néodyme. La demande pour le néodyme va croître de 4,8 à 5,4 % par année environ. Dans la mesure où la croissance moyenne de la production a été de 5,2 % de 1990 à 2020, ceci crée une légère pression dans l’un des deux scénarios étudiés. La demande européenne totale sera de l’ordre 2 500 à 5 000 tonnes en 2030 et diminuer légèrement ensuite. La quantité destinée à la transition n’est pas précisée. Ceci devrait représenter moins 2,1 % de la demande mondiale totale en 2050.
En conclusion, la pression sur les métaux sera réelle, mais gérable dans la plupart des cas. La décennie allant de 2020 à 2030 sera plus affectée que les deux suivantes. Il faut garder à l’esprit que les pourcentages de croissance très élevés qui sont annoncés ne concernent que la transition. Si l’on tient compte de tous les usages industriels existants, les taux de croissance apparaissent beaucoup plus modérés. Il faut aussi tenir compte du fait que l’Europe n’est pas très présente dans certains secteurs de la transition (photovoltaïque, batteries…) et qu’à partir d’un point de départ aussi bas, des pourcentages de croissance énormes ne représentent pas forcément des masses ingérables de métaux.
Bien qu’on émette souvent des doutes sur la capacité de l’industrie minière à couvrir les besoins en métaux des énergies renouvelables, il faut observer qu’on amalgame trop souvent le secteur automobile à « la transition » en général, alors que ses besoins sont sensiblement plus élevés et plus variés que ceux du secteur énergétique au sens strict. S’il y a un jour des arbitrages à faire entre le secteur automobile et le secteur énergétique, ce dernier, mieux placé pour mutualiser ses dépenses sur l’ensemble de la population, devrait être capable de payer plus pour s’assurer en priorité des métaux nécessaires.
Source :
Lisbet Gregoir et al. Metals for Clean Energy : Pathways to Solving Europe’s Raw Material Challenge, KU Leuven, avril 2022.
Il manque la contrainte énergétique, puisqu’il faut bien extraire, transporter et rafiner ces métaux.
https://reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue
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C’est un argument souvent entendu, mais en pratique, combien de projets miniers ont été annulés par manque d’énergie? Je n’en connais pas un seul. Quand au juste ce fameux mur est-il censé se mettre en place? Personne ne peut le préciser. Et en pratique, comme on parle ici de métaux destinés à produire de l’énergie, l’expansion de l’industrie minière n’est pas contrainte par l’énergie. Les contraintes sont plus de nature géologique (la limite de la ressource) et environnementale (la pollution induite par cette production).
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