Dans un long article publié en juillet dans la revue scientifique IEEE Access, une équipe de chercheurs dirigée par Christian Breyer fait une revue de la littérature relative aux scénarios de transition reposant à 100 % sur les énergies renouvelables. Plus de 700 articles scientifiques ont déjà été publiés sur sujet. Le domaine de recherche est en pleine explosion depuis 2018 et de nombreux modèles démontrent la faisabilité technique du projet. Pourtant les autorités gouvernementales et les instances internationales tardent à reconnaître ces résultats, s’en tenant à des scénarios plutôt frileux.
Un champ de recherche en pleine explosion
Bien que les premières analyses qualitatives portant sur un scénario basé à 100 % sur les énergies renouvelables remontent à 1975, les premiers efforts quantitatifs sérieux remontent aux années 1990. Le domaine de recherche a vraiment pris son envol en 2009 avec un article de Jacobson et Delucci. À la fin de 2021, 666 articles portant différentes zones géographiques avaient été publiés, plus 44 articles portant sur des questions génériques et 38 proposant une revue de la littérature, pour un total de 738 textes, la plupart publiés depuis 2018.
Les modèles proposés sont de plus en plus sophistiqués. Ils évaluent diverses combinaisons de sources d’énergie (PV, solaire, hydro…) et de stockage (batteries, transformation des surplus d’électricité en hydrogène et carburants chimiques…) pour divers territoires et à des échelles de temps de plus en plus fines. La norme actuelle est de tester les hypothèses par rapport aux conditions météorologiques réelles de plusieurs années, à une échelle d’une heure – et parfois, de cinq minutes. Autrement dit, les modèles proposés doivent prouver qu’ils auraient été résilients à telle heure le fameux jour sans soleil et sans vent de telle année dans le passé.
Par exemple, une autre équipe menée par Breyer a développé le modèle LUT-ESTM entre 2017 et 2021. Ce modèle a d’abord montré quel mix énergétique permettait une solution 100 % renouvelable en Europe, puis il a été étendu à toutes les régions du monde. Cet excellent travail a malheureusement reçu peu de publicité et demeure largement ignoré dans le monde francophone. Il repose sur une majorité d’énergie solaire, appuyée par de l’éolien, des batteries et du méthane de synthèse utilisé comme stockage. Il est à noter que ce genre de modèle démontre la faisabilité technique : il ne s’intéresse pas aux conditions politiques favorisant sa mise en œuvre. Le potentiel est là, mais il faut une volonté forte pour le concrétiser.
Tendances générales
Les centaines d’études publiées présentent un grand nombre de similitudes. En général, le PV et l’éolien sont au cœur des mix électriques proposés et en représentent environ 80 %. Les proportions exactes varient selon les régions du monde, mais en général, l’énergie solaire est largement dominante. La part de l’éolien se situe entre 14 et 26 % dans les scénarios optimisés pour réduire les coûts.
La part du solaire dans ces scénarios augmente régulièrement depuis 2010 pour quatre grandes raisons :
1. La baisse rapide des coûts du PV a initialement été grandement sous-évaluée
2. Plusieurs scénarios anciens faisaient une place irréaliste à la biomasse, dont le potentiel réel est limité
3. Certains scénarios anciens favorisaient la diversité des sources d’énergie plutôt que la recherche des solutions les moins coûteuses, comme c’est actuellement le cas
4. Enfin, plusieurs scénarios anciens surestimaient les coûts de la flexibilité et minimisaient le potentiel du stockage sous forme d’hydrogène ou de carburants de synthèse.
Réponse aux critiques
La revue de la littérature s’intéresse aussi aux critiques qu’on adresse aux systèmes 100 % renouvelables. L’une des objections traditionnelles concerne le taux de retour énergétique (EROEI) du PV, qui serait trop faible. Mais les études les plus récentes à ce sujet trouvent un EROEI moyen situé entre 28 et 34 et pouvant aller jusqu’à 58. Ceci bat largement le rendement du pétrole et du gaz et ne peut pas être considéré comme un obstacle.
Un autre angle critique concerne la variabilité des énergies renouvelables et ses effets sur la stabilité des réseaux. Ces arguments sont basés sur des hypothèses a priori que la recherche récente sur les systèmes 100 % renouvelables a justement invalidées. Il existe actuellement des stratégies efficaces pour gérer la variabilité et la stabilité. Certains travaux suggèrent même qu’à terme, les systèmes basés sur les renouvelables pourraient être plus stables que ceux qu’ils remplacent. L’argumentaire est toutefois assez technique et dépasse le cadre de ce court billet de blogue.
Comme les critiques portant sur le retour énergétique et la variabilité deviennent de moins en moins crédibles, l’argumentaire se tourne maintenant vers la question des ressources, en particulier celle des métaux. L’équipe de Breyer admet que cette objection est sérieuse pour certains métaux, dont le lithium, mais la remet en doute pour d’autres, dont le cuivre. Les analyses disponibles suggèrent plus un goulot d’étranglement à moyen terme qu’un obstacle absolu. Mais c’est un domaine où de nombreuses incertitudes demeurent, notamment parce que les limites réelles des stocks minéraux demeurent mal connues.
L’AIE et le GIEC en retard
La recherche de Breyer écorche au passage les travaux de l’Agence internationale de l’énergie et du GIEC. L’AIE annonce chaque année depuis 20 ans que le déploiement du solaire va ralentir, alors qu’il accélère de 43 % par année en moyenne. Ses scénarios actuels prévoient encore un plafonnement du rythme d’installation après 2030, sans qu’aucune raison précise ne soit avancée pour l’expliquer. Ce choix dans la conception des scénarios l’amène à prévoir un déploiement massif d’installations de capture et de séquestration du carbone, une option technologique risquée à laquelle les scénarios 100 % renouvelables font ordinairement peu de place.
Le GIEC, pour sa part, mentionne à peine l’existence de scénarios 100 % renouvelables, qui constituent pourtant un champ de recherche important. Ses scénarios font relativement peu de place au PV. Une des raisons semble être que les chercheurs du GIEC projetent le prix du PV en 2050 à un niveau supérieur au prix réel mesuré en 2020. Cette anomalie surestime de quatre à cinq fois le prix du PV utilisé dans ses modèles d’évaluation intégrés (IAM). Les chercheurs de la communauté 100 % renouvelable ont montré qu’en utilisant un prix plus réaliste pour le PV en 2050, la proportion de solaire dans le mix énergétique rejoint leurs propres projections. Incidemment, dans ces conditions, l’énergie nucléaire devient non concurrentielle et ne représente plus qu’une part infime du mix énergétique en 2050.
Le reste de l’article s’intéresse aux défis qui subsistent dans le domaine de la recherche sur les systèmes 100 % renouvelables. L’un d’eux est de poursuivre les projections jusqu’en 2100, plutôt que jusqu’en 2050 seulement. Un autre est de mieux arrimer les modèles énergétiques renouvelables aux modèles d’évaluation intégrés utilisés par le GIEC, qui reposent sur des hypothèses quelque peu dépassées. Il existe aussi relativement peu de modèles développés pour le sud global.
Le texte se conclut en réaffirmant qu’il existe désormais une abondante littérature démontrant que des systèmes énergétiques 100 % renouvelables sont techniquement possibles et qu’ils permettraient de se passer des carburants fossiles. La recherche devrait maintenant porter plus d’attention à la manière d’accompagner ce changement en profondeur et les transformations sociales qu’elle implique.
Sources :
- Breyer, C. et al. On the History and Future of 100% Renewable Energy Systems Research. IEEE Access, 25 juillet 2022.
- Modèle LUT-ESTM : Ram M., Bogdanov D., Aghahosseini A., Gulagi A., Oyewo A.S., Child M., Caldera U., Sadovskaia K., Farfan J., Barbosa LSNS., Fasihi M., Khalili S., Dalheimer B., Gruber G., Traber T., De Caluwe F., Fell H.-J., Breyer C. Global Energy System based on 100% Renewable Energy – Power, Heat, Transport and Desalination Sectors. Study by Lappeenranta University of Technology and Energy Watch Group, Lappeenranta, Berlin, March 2019.
On l’a déjà dit si c’est techniquement possible ça ne l’est pas économiquement car la raréfaction des ressources va engendrer la hausse des prix mécaniquement et rendre impossible le déploiement de cette technologie en masse.
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Mais…
On est sauvé alors !!!
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Disons plus modestement que c’est beaucoup moins foutu que certains s’amusent à le dire.
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Prends ça dans les dents Jancovici !!!
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J’invite un pays – n’importe lequel – à se lancer immédiatement en éclaireur, histoire de confronter ces mirifiques scénarios avec la réalité concrète. C’est même à se demander pourquoi AUNCUN pays au monde n’est d’ores et déjà pas 100% ENR-I à 80% PV, même un si petit soit-il, gorgé de soleil, avec de larges surfaces inexploitées, et aux excédents financiers avantageux (je pense aux pétromonarchies) ? Bizarre tout de même, alors que l’on nous promet un système totalement viable et écolo, et plus compétitif économiquement ! Je trouve toujours étonnant, derrière les modélisations masturbatoires, de CONSTATER que ces solutions que l’on nous présente en permanence comme ultra-compétitives sont partout sur la planète ultra-subventionnées ! Il n’y aurait pas comme un paradoxe, voire une escroquerie dans l’énoncée…?
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J’ai l’impression que ces scénarios ne tiennent pas compte (ou sous-estime ) que le cout des ENR dépend fortement de la quantité d’énergie fossile injectée dans notre machine industrielle. Dans un monde sans pétrole, charbon et gaz notre capacité à fabriquer et installer des panneaux solaires, des éoliennes ou d’autre ENR va être grandement diminuée. Faite juste vous imaginer un instant la difficulté (donc le cout) que représente la fabrication+installation d’un panneau solaire qui ne contient pas un joule de pétrole/diesel. Le minage des minerais, leur transformation, le transport, la fabrication, l’installation et sa fin de vie, tout ça sans énergie fossile. Selon moi, une machine industrielle fonctionnant à l’éolien ou au solaire (avec un peu d’Hydro) va fournir des niveaux d’énergie beaucoup plus bas qu’actuellement. Ce qui serait intéressant, c’est d’avoir des scénarios qui modélisent justement cela: quelle quantité d’énergie pouvons-nous obtenir en sortie dans un monde vraiment 100% ENR où les énergies fossiles sont complètement absentes?
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J’ai abordé ce thème des renouvelables sans carburants fossiles il y a quelque temps. Dans le cas des panneaux solaires, la partie réellement non substituable est minuscule.
https://energieetenvironnement.com/2022/01/13/combien-de-charbon-pour-un-panneau-solaire/
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Je trouve quand même quelque peu audacieux d’expliquer « l’état de la recherche » à partir d’un seul article. Certes, celui-ci fait une compilation de différentes sources mais, on aimerait bien avoir d’autres travaux similaires et ce d’autant plus que celui-ci soutient qu’on est arrivé à un consensus sur la question en très peu de temps,.C est tout de même curieux, étant donné qu’on parle de prospective et d’un sujet mettant en jeu de nombreux domaines d’expertises. Je suis très surpris aussi de l’absence d’une quelconque évaluation de l’incertitude des résultats dans l’article(chose qu’on retrouve dans les scénarios RTE réalisés en France).
Par ailleurs, le pédigrée de certains des co-auteurs ne m’inspire guère confiance:
-Benjamin Sovacool qui a produit une évaluation controversée et très supérieure au consensus sur les émissions de CO2 liées au nucléaire.
-Mark Jacobsen qui s’est illustré en portant plainte contre la « Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America » parce qu’un de ses articles a été critiqué(!?!), et qui par ailleurs a produit des évaluations des conséquences de Fukushima contraires aux consensus scientifique(alors qu’il n’est pas spécialiste de la question)
-Auke Hoekstra qui est à la tête d’une société de conseils à destination des entreprises et des gouvernements(conflit d’intérêt?)
-Ugo Bardi représentant de la branche italienne de l’ASPO association qui s’est illustrée depuis plus d’une vingtaine d’années en prévoyant une baisse imminente de la production de pétrole et qui s’est retrouvée plusieurs fois démentie par les faits.
…
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Ce n’est pas l’opinion de quelques auteurs, mais une méta-analyse de tout un domaine de la littérature – le résumé des travaux de plus de 2400 chercheurs sur plus de 15 ans. Vous ne pouvez pas soulever un doute seulement en évoquant quelques aspects non reliés de la carrière des auteurs de l’article. Ce que vous faites est, toutes proposrtions gardées., à peu près l’équivalent de soulever le doute sur toute la littérature sur les changements climatiques à partir de quelques courriels, comme certains l’ont tenté il y a quelques années. Il y a un consensus scientifique. Vous n’y croyez pas? Et alors?
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Non, ce n’est pas une méta-analyse, laquelle suppose un travail statistique qui n’est pas présent ici, Par ailleurs, une méta-analyse suppose de faire un tri parmi l’ensemble des études en indiquant des critères de qualité pour répondre à une question très précise. C’est tout au plus une compilation d’articles qui pour la plupart, ne cherchent pas à répondre à la question de la faisabilité d’un scénario 100%Enr. Comparer ce travail aux rapports du GIEC est extrêmement osé.
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