Une courte histoire du pétrole : 2. Naissance et essor de l’industrie

Dès ses débuts, l’industrie pétrolière est marquée par des cycles d’expansion et de récession très marqués, ainsi que par le spectre de l’épuisement de la ressource. En 1900, par exemple, l’exploitation touche à sa fin dans le bassin des Appalaches, où se situe la Pennsylvanie. En 40 ans, 183 champs pétroliers y ont pompé un total de 1,33 milliard de barils de pétrole. Ceci représente environ deux semaines de consommation mondiale au rythme actuel. C’est peu, compte tenu de l’importance historique de ce bassin.

On trouvera ici la partie 1 et la partie 3.

La volatilité du cours du pétrole durant les années 1860 va favoriser l’essor d’une entreprise aux méthodes brutales et monopolistiques : Standard Oil. Le coup de génie de son fondateur, John D. Rockefeller consiste à lier le pétrole à une autre industrie balbutiante : le chemin de fer. Le rail y gagne un grand volume de marchandise, tandis que Standard Oil obtient un rabais de 75 % sur le tarif de transport. C’est sur cette base que Rockefeller écarte ses concurrents et prend rapidement le contrôle de l’industrie pétrolière. En 1904, Standard Oil contrôle 91 % de la production et 85 % des ventes aux États-Unis. L’entreprise, tombée sous le loi de la loi antitrust, est démantelée en 34 entités indépendantes en 1911. Certaines sont très importantes et vont continuer à dominer l’industrie américaine :

  • Standard Oil of New Jersey, devenue Esso, puis Exxon et ExxonMobil à la suite de fusions

  • Standard Oil of New York, qui deviendra Mobil, puis ExxonMobil

  • Standard Oil of California, qui deviendra Chevron

  • Standard Oil of Indiana, qui deviendra Amoco avant d’être absorbée par BP.

Parallèlement aux efforts de Rockefeller, Robert et Ludwig Nobel, frères d’Alfred Nobel, déjà rendu célèbre par l’invention de la dynamite en 1867, achètent en 1873 une petite exploitation pétrolière à Bakou, dans l’empire russe (aujourd’hui en Azerbaïdjan). Chimiste de grand talent, Robert améliore le procédé de raffinage et fonde la société Branobel, qui sera pendant quelques années la premier producteur mondial de pétrole. En 1878, la firme fait construire navire-citerne, le Zoroastre. Longs de 54 mètres, les navires de cette classe transportent 242 tonnes de kérosène à la fois sur la mer Caspienne et remontent la Volga jusqu’à Saint-Pétersbourg.

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Au début des années 1880, Bakou compte 200 petites raffineries et sa production atteint le tiers de la production américaine. Elle représente 31 % de la production mondiale à son somment, en 1904. Mais, faute d’investissements dans le technologie la plus récente, cette part n’est plus que de 9 % en 1913. Les nationalisations soviétiques de 1928 marginalisent encore un peu plus Bakou.

Pendant que les producteurs russes et américains se battent pour la suprématie mondiale, une autre région pétrolière fait son apparition : les Indes néerlandaises (aujourd’hui l’Indonésie). Le premier puits de pétrole de Sumatra est foré en 1885. Cette initiative mènera à la création de la société Royal Dutch en 1890. La société Shell, qui est alors une compagnie de transport maritime active dans le pétrole russe, lance sans succès ses propres projets d’exploitation à Bornéo. Les deux entreprises finiront par fusionner en 1907. Cette région pétrolière, quelque peu oubliée de nos jours, aura pendant quelques décennies un importance équivalente à celle du golfe Persique de nos jours.

Les débuts de l’industrie pétrolière mexicaine datent aussi de cette époque. La première exploitation commerciale date de 1882, mais les débuts sont lents et la production est de l’ordre d’à peine 10 000 barils en 1901. Elle monte toutefois à 3,9 millions en 1908, 55 millions en 1917 et 193 millions en 1921. À la veille de la Première Guerre mondiale, le Mexique est le deuxième producteur mondial, après les États-Unis.

Du pétrole est découvert en 1901 à Spindletop, au Texas, près d’une paisible bourgade dominée par le commerce du coton :Houston. Ce champ s’épuise rapidement, mais à partir de 1905, des découvertes dns le nord de l’État et Oklahoma viennent donner un élan à deux nouveaux joueurs apparus en 1901 : Gulf Oil et Texaco. Gulf sera l’une des principales entreprises pétrolières du monde jusqu’à la fusion de 1985 d’où émergera Chevron. Texaco deviendra une filiale de Chevron en 2001. Quant au Texas lui-même, il demeure à ce jour l’un des centres névralgiques de l’industrie pétrolière mondiale.

Le Moyen Orient attire l’attention de l’industrie pétrolière dès la fin du XIXe siècle, mais les affaires y sont difficiles. Les forages débutent dès 1902 en Perse (aujourd’hui Iran). Les conditions y sont très difficiles et les deux premiers puits ne donnent rien. Il faudra attendre le forage d’un troisième puits, en janvier 1908, pour enfin voir jaillir du pétrole. Cette découverte est importante. Au niveau géologique, il existe une trentaine de systèmes pétroliers dans le monde, c’est-à-dire non pas des gisements indépendants, mais des régions où les conditions ont favorisé l’accumulation de pétrole en grandes quantités. Le premier puits de Perse a révélé l’existence du plus grand d’entre eux, contenant 40 % des réserves mondiales – même si l’importance de la région du golfe Persique n’a été comprise que peu à peu.

La moitié de la région est contrôlée par l’Empire ottoman, corrompu et décadent, tandis que l’autre relève du shah de Perse, dont l’autorité est vacillante hors de sa propre capitale. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, Allemands et Britanniques y sont en compétition. Les Allemands y prennent d’abord l’avantage en entreprenant la construction d’un chemin de fer Berlin-Bagdad, mais la défaite des Puissances centrales en 1918 et la création de l’Irak sous protectorat britannique et fin à cette aventure. Pendant les années 1920 les compagnies pétrolières se partagent le pactole du Moyen Orient (à l’exception de la Perse et du Koweit) par une entente qui accorde des parts à Shell, Mobil, Esso et deux nouvaux venus : British Petroleum (BP) fondée en 1914 six jours avant le début de la guerre et la Compagnie française des pétroles (aujourd’hui Total), fondée en 1924.

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Chevron et Texaco ne font pas partie de cette entente et s’intéressent à une zone délaissée : Bahrein. La géologie du site ne semble pas très favorable, notamment parce que le sable recouvre et camoufle la géologie locale. Une première découverte relativement modeste y a lieu en 1931, ce qui amène Chevron à négocier des droits d’exploration avec l’Arabie voisine en 1933. Les forages débutent lentement en 1935 et le premier pétrole d’Arabie jaillit en 1938. Mobil et Exxon se joignent à eux pour former une coentreprise qui deviendra elle aussi célèbre : la Arabian-American Oil Company, ou Aramco.

À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le quart des réserves mondiales et la plupart des grandes régions pétrolières ont déjà été découvertes, mais la production cumulative reste modeste, soit environ 67 milliards de barils en 80 ans. L’industrie pétrolière est dominée par sept grandes entreprises, soit Sheel, BP, Esso, Mobil, Chevron, Texaco et Gulf. L’italien Enrico Mattei, homme d’État, ingénieur et fondateur de la petite pétrolière ENI, leur donnera un surnom qui restera célèbre : les sept sœurs.

L’essentiel de la production se concentre alors dans cinq grandes zones : Bakou, dans le Caucase soviétique (12 % de la production); Ploiesti, en Roumanie (2 %); les Indes néerlandaises (l’Indonésie actuelle- 2 %); l’Iran (2 %); et les Amériques, en particulier le Texas dont la richesse fait des États-Unis le premier producteur mondial (64 %). Le contrôle des champs pétroliers de Roumanie, d’URSS et des Indes néerlandaises, vital pour les Allemands et les Japonais, sera l’un des principaux enjeux des combats.

 

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