Pourquoi la Chine manque-t-elle d’électricité?

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Quelle est la cause des délestages électriques qui affligent actuellement une grande partie de la Chine? Les médias ont vite sauté sur deux hypothèses pour expliquer la sous-production des usines électriques chinoises : l’embargo sur le charbon australien et la chute de la production en Chine même. Ces deux pistes ne résistent toutefois pas à l’analyse : le charbon australien n’a jamais pesé très lourd dans la balance et la production chinoise de charbon a progressé plutôt que reculé ces dernières années. L’explication se trouve sans doute plus au niveau du prix que des quantités produites.

China power shortages

Un mot d’abord sur les délestages électriques. On sait que 20 provinces représentant 66 % de l’économie chinoise sont touchées d’une manière ou d’une autre, mais quelle est l’ampleur de ces coupures? Il n’y a pas d’information officielle sur le sujet et les récits existants ne sont qu’une compilation d’anecdotes locales. Selon Bloomberg, la province de Guandong serait la plus touchée. Les restrictions y atteindraient 11 % de la production de pointe, donc beaucoup moins le reste de la journée. La chute de production électrique est donc inférieure à 10 %, et peut-être même à 5 % de l’ensemble.

Par ailleurs, quels sont les besoins en charbon de l’économie chinoise? La consommation aurait été de 4,98 Gt (milliards de tonnes) en 2020, une année où l’économie a tourné au ralenti en raison de la pandémie. Il faut toutefois savoir qu’il existe deux grandes catégories de charbon : le charbon métallurgique, qui est utilisé dans la production d’acier et le charbon thermique, de moins bonne qualité, qui est utilisé dans les usines électriques.

La consommation de charbon thermique de la Chine était de 3,2 Gt en 2019. Les statistiques nationales ne distinguent pas toujours les deux catégories de charbon, ce qui complique les analyses. En 2019, les importations chinoises de charbon, tous grades et toutes origines confondus, étaient de 233 millions de tonnes. Ces importations étaient en baisse depuis des années : elles ont connu un pic en 2013 à 327 millions de tonnes. Mais elles auraient remonté à 304 millions de tonnes en 2020 et seraient encore de l’ordre de 300 millions de tonnes en 2021.

L’hypothèse australienne

À la fin de 2020, la Chine a appliqué un embargo informel sur les importations de charbon en provenance de l’Australie, qui était son principal fournisseur étranger. Il est tentant d’attribuer le manque de charbon présumé en Chine à ce manque à gagner. Mais les données n’appuient pas cette hypothèse. En 2019, les exportations de charbon vers la Chine ont été de 93 millions de tonnes, soit 1,9 % seulement de la consommation chinoise. De plus, la part du charbon thermique aurait été de l’ordre de 40 millions de tonnes seulement, soit 1,3 % des besoins chinois de 3,2 milliards de tonnes.

Qui plus est, la Chine a trouvé des fournisseurs de substitution, principalement l’Indonésie. Durant les six premiers mois de 2021, les exportations indonésiennes de charbon ont été 203 millions de tonnes, dont 88, principalement thermique, ont été expédiées vers la Chine (une hausse de 31 % par rapport à 2020). La Chine a aussi importé de grandes quantités de charbon métallurgique en provenance de la Russie et des États-Unis. Autrement dit, la fin des importations australiennes a été largement compensée. Et en partant, l’embargo australien n’aurait pas pu provoquer des coupures de l’ampleur de celles actuellement observées en Chine. Les Chinois ne sont clairement pas dans le noir par manque de charbon australien.

L’hypothèse du déclin de la production chinoise

La production chinoise de charbon a connu un pic en 2013 à près de 4 milliards de tonnes, a connu un creux en 2016 et a lentement remonté à 3,9 milliards de tonnes en 2020. De plus, la Chine a éliminé un grand nombre de petites mines peu productives. Depuis 2015, l’emploi dans les mines de charbon a baissé de moitié et le nombre de mines est passé de plus de 10 000 à environ 4 700. Ceci n’a pas empêché une reprise de la production, pas plus que la mise en exploitation de nouvelles mines. L’idée d’une contrainte géologique à la production par épuisement de la ressource semble donc prématurée.

China coal production 1980-2020

Pendant les huit premiers mois de 2021, la production chinoise de charbon a été de 2,6 milliards de tonnes, en hausse de 4,4 % par rapport à la même période en 2020. La capacité de production annuelle aurait augmenté de 140 millions de tonnes durant la première moitié de 2021 et on prévoit une hausse additionnelle de 110 millions de tonnes pour la deuxième moitié de l’année. De plus, la Chine a rouvert l’équivalent de 67 millions de tonnes de production annuelle en Mongolie intérieure.

Bref, s’il manque de charbon en Chine, ce n’est pas parce que la production est en déclin. Il faut aussi noter que cette hausse de la production a eu lieu en dépit du désir exprimé par la Chine de réduire ses émissions de CO2 liées à sa dépendance au charbon.

Les statistiques chinoises manquent notoirement de fiabilité. Comme les provinces se font donner chaque année des objectifs de production et que les manquer serait considéré comme un faux-pas dans la carrière des responsables régionaux, la tentation est forte de surdéclarer les quantités produites. On notera que la somme de la production locale et des importations reste inférieure à la consommation totale, ce qui est pour le moins étonnant. Toutefois, cette anomalie persiste depuis des années et jusqu’en 2019, les coupures de courant étaient rarissimes. Celles-ci se produisent dans un contexte où l’approvisionnement en charbon devrait normalement être suffisant.

Alors, quoi?

Si les importations et la production locale de charbon n’ont pas connu de choc significatif, alors à quoi attribuer les délestages actuels?

Une première hypothèse veut que le problème vienne d’une consommation accrue, pas d’un problème d’approvisionnement. Après une année creuse en 2020, la production industrielle chinoise a repris en 2021. De plus, le temps exceptionnellement chaud qu’a connu la Chine cet été a provoqué une forte demande d’énergie pour la climatisation. La consommation d’électricité aurait en hausse de 16 % sur les six premiers mois de 2021, ce qui complique le travail des producteurs d’électricité pour accumuler ou reconstituer des stocks en prévision de l’hiver.

Une seconde hypothèse, avancée par plusieurs observateurs de la scène économique chinoise, soutient que le charbon n’est pas aussi rare qu’on le dit, mais qu’il est devenu trop cher pour les producteurs. Il faut savoir qu’en Chine, le prix du charbon est librement déterminé par le marché, mais que le prix de l’électricité est constant et fixé par l’État. Les producteurs d’électricité se plaignent depuis des années de leurs faibles marges bénéficiaires. La hausse récente du prix du charbon les aurait poussés dans une zone où chaque kilowatt-heure est produit à perte. Ils cherchent donc actuellement à éviter la faillite en limitant volontairement leur production. Comme la loi chinoise interdit cette pratique, crier au manque de charbon devient une excuse commode.

Cette hypothèse n’est pas aussi farfelue qu’il n’y paraît. Un producteur électrique de Beijing, par exemple, a annoncé que sa production serait insuffisante dans les dix prochains jours en raison d’un entretien de routine sur son équipement. Mais cet entretien n’aurait-il pas dû être effectué dans la saison creuse, pas à l’amorce de la saison froide?

Par ailleurs, l’hypothèse des restrictions délibérées sur la production s’arrime assez bien à celle de la demande excédentaire. La forte reprise économique mondiale de 2021 a provoqué une forte pression sur le prix de l’énergie sous toutes ses formes. Si l’on combine cette tendance à une forte demande locale, il n’est pas étonnant que le prix du charbon soit trop élevé et que les producteurs d’électricité en soient réduits à produire à perte.

Quoi qu’il en soit, les explications pour la crise avancées par les médias ne tiennent pas bien la route et le gouvernement chinois lui-même n’a donné que des explications partielles et peu cohérentes. Il faudra quelques mois de plus pour bien comprendre les causes de cette crise, mais il est déjà clair qu’elle s’inscrit dans le cadre des difficultés économiques croissantes que connaît la Chine en ce moment.

Sources :

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