Comprendre la géothermie et ses limites

La géothermie est souvent présentée comme une source d’énergie propre et illimitée. On peut se demander, dans ces conditions, pourquoi elle n’est pas davantage exploitée. Comme souvent, c’est un mélange de contraintes techniques et de limites physiques qui la rendent peu attrayante. Et en pratique, la géothermie n’est pas si propre que cela non plus.

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Centrale électrique hydrothermale de Nesjavellir, en Islande.

Avant d’aller plus loin, rappelons que le terme « géothermie » recouvre trois réalités distinctes dans le langage courant :

  • Le stockage d’eau chaude dans de profonds puits, pour des durées allant de quelques heures à quelques semaines, qui ne relèvent pas de la chaleur géologique au sens strict, ou encore l’extraction à petite échelle d’eau chaude de puits peu profonds pour usage domestique, commercial ou institutionnel.

  • L’utilisation de sources souterraines d’eau chaude qui existent spontanément dans quelques régions du globe, à une profondeur généralement inférieure à 3 000 mètres. Dans ce cas, il serait plus précis de parler d’hydrothermie.

  • L’utilisation de la chaleur diffuse du roc enfoui dans les profondeurs de la terre à des profondeurs allant de 3 000 à 10 000 mètres, en l’absence d’eau souterraine. Cette source de chaleur se trouve partout sur la planète, mais certaines régions sont naturellement plus chaudes que d’autres.

Ce texte va se pencher uniquement sur l’utilisation de cette troisième source d’énergie pour la production d’électricité, bien que certains des constats qui suivent s’appliquent aussi à l’hydrothermie. De manière générale, la température augmente d’environ 30 °C chaque fois que l’on s’enfonce de 1 000 mètres dans le sol. Cette chaleur percole lentement des profondeurs de la Terre, mais elle est aussi produite sur place par la désintégration des petites quantités de matière radioactive naturellement présentes dans le roc. Cette accumulation de chaleur est assez lente et si les profondeurs sont chaudes, c’est principalement parce que la pierre agit comme son propre isolant.

Les limites techniques

L’idée générale derrière la géothermie consiste à forer des puits pour rejoindre les couches chaudes du sous-sol, puis à injecter de l’eau pour en récupérer l’énergie. À pression normale, cette eau extrêmement chaude se transforme en vapeur et alimente des turbines électriques.

La technologie nécessaire ressemble à celle utilisée pour forer les puits de pétrole. Toutefois, l’exploitation pétrolière descend rarement à plus de 2 000 mètres de profondeur. La géothermie vise des profondeurs de 3 000 à 10 000 mètres, ce qui ajoute un ensemble de contraintes :

  • La roche devient de plus en plus dure avec la profondeur et use plus rapidement les mèches et les tubes de forage.

  • La chaleur de la roche s’ajoute à celle produite par la friction de la mèche et rend l’équipement de forage plus difficile à refroidir, en plus d’exiger de coûteux alliages spéciaux.

  • Les fluides de forage et les matières libérées par le forage sont corrosifs et s’attaquent autant aux pièces en métal qu’au béton coulé pour stabiliser le puits.

  • La vapeur chargée en minéraux tend à obstruer la tuyauterie et les valves.

  • La pression de vapeur est telle qu’elle tend à fendre la roche le long du puits et à s’échapper par ces fissures.

  • La roche doit être brisée par fracturation hydraulique pour créer assez de surface de contact entre le sous-sol et l’eau qu’on y injecte.

  • À plus de 1 500 mètres de profondeur, la roche devient instable et le puits peut s’effondrer sur lui-même. Pire, de mauvaises décisions de forage peuvent déclencher de petits tremblements de terre.

Il faut ajouter qu’à ces profondeurs, les pressions deviennent énormes. Les tubes doivent être très épais et leur poids totale peut dépasser les 500 tonnes. Ils peuvent rompre sous leur propre charge et il existe peu d’équipement apte à soulever de pareilles masses. Il existe quelques installations hydrothermiques en activité, mais pour toutes les raisons évoquées ici, l’exploitation de la chaleur « sèche » des profondeurs n’est pas rentable et ne semble pas en voie de le devenir.

Les limites énergétiques

La puissance installée de tous les équipements de production d’énergie du monde est de l’ordre de 12 TW (térawatts), dont plus de 80 % de carburants fossiles. En comparaison, la chaleur qui s’échappe des profondeurs représenterait un potentiel d’environ 9 TW d’énergie, si on pouvait la capter. En pratique, les techniques d’extraction de chaleur ont leurs limites et même si l’on pouvait exploiter la totalité de la surface des continents, on ne réussirait pas à extraire plus de 2 TW. Le potentiel de l’hydrothermie, pour sa part, ne dépasserait pas 13 GW aux États-Unis, en dépit de l’abondance des sources chaudes en Californie et au Nevada.

Mais ce n’est pas tout. La chaleur extraite du sous-sol ne se renouvelle pas rapidement. Les puits se refroidiraient rapidement et devraient être reforés tous les 4 à 8 ans. L’ensemble de la région en exploitation devrait être abandonnée après 20 à 30 ans (l’énergie hydrothermale souffre du même problème). La chaleur ne se reconstituerait que très lentement et à toutes fins utiles, il faut considérer la géothermie comme l’exploitation d’une chaleur « fossile », accumulée dans le passé.

La chaleur souterraine est également très diffuse. Pour chauffer une seule maison, il faut exploiter une zone d’environ 100 mètres de côté, soit 10 000 mètres carrés. Les superficies à forer et à fracturer pour alimenter des villes et des industries serait gigantesques.

Les limites environnementales

La quantité d’eau douce à injecter dans les puits constitue l’une des limites les plus évidentes de la géothermie. Mais les profondeurs de la terre émettent aussi du sulfure d’hydrogène (H2S, gaz extrêmement toxique) et du CO2. L’eau peut aussi dissoudre et ramener à la surface divers sels, ainsi que de l’arsenic, du mercure, du soufre, de la silice et divers autres minéraux qu’il n’est pas simple de gérer de manière sécuritaire.

Les boues de forage sont un problème à part entière. En plus de minéraux toxiques mentionnés plus, haut, les sous-sols les plus chauds doivent souvent leur chaleur à la désintégration de matières radioactives relativement abondantes. Ces éléments et leurs sous-produits peuvent se retrouver dans les boues en quantités justifiant une gestion plus serrée (et plus coûteuse) de ces résidus.

Pour toutes ces raisons, la géothermie tarde à faire des progrès. Certains projets ont même été prématurément abandonnés dans le passé. Cette filière est considérée comme risquée et reçoit peu de financement. La recherche porte principalement sur l’identification des meilleurs sites, sur l’amélioration des techniques de forage à grande profondeur et sur des techniques adaptées de fracturation de la pierre. Les progrès sont lents.

Source :

Energy Skeptic, Can Geothermal power make up for declining fossil fuels?

13 réflexions sur “Comprendre la géothermie et ses limites”

  1. DEPUIS 40 À 50 ANS LES RÉSEAUX DE CHALEUR GÉOTHERMIQUE D’ILE DE FRANCE SONT À LA BASE DE LA FOURNITURE ÉCONOMIQUE DE CHALEUR À PLUSIEURS CENTAINES DE MILLIERS DE LOGEMENTS ET D’ACTIVITÉS DANS LE BASSIN PARISIEN : comment peut-on affirmer que les puits se refroidissent rapidement et qu’il s’agirait d’une chaleur fossile ??

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    1. On ne parle pas tout à fairtde la même chose, ni des mêmes niveaux de chaleur. Donc, la chaleur extraite a plus de chances de se renouveler. On me dit toutefois que même en île-de-France, il faut creuser de plus en plus profondément pour trouver de la chaleur exploitable.

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  2. Merci, clair et limpide (comme d’habitude).

    Quelques coquilles :

    Cette chaleur percole lentement des profondeurs de la Terre, mais elle [est] aussi produite sur place par la désintégration des petites quantités de matière radioactive naturellement présentes dans le roc. Cette accumulation de chaleur est assez lente et si les profondeurs sont chaudes, c’est principalement parce [que] la pierre agit comme son propre isolant.

    Les puits se refroidiraient rapidement [et] devraient être reforés [tous les] 4 à 8 ans.

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  3. Je viens d’arriver dans un tout nouveau écoquartier du côté de Neuilly-sur-Marne et cela fonctionne avec la géothermie. Je compte prochainement visiter les installations et je ne manquerai de poser des questions précises grâce à votre article, merci.

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    1. Notez que mon article se rapporte à une technologie précise, la production d’électricité à partir de la chaleur des pierres sèches, qui draine beaucoup d’énergie du sous-sol. Mais le problème de l’épuisement de l’énergie disponible et de son renouvellement reste entier. Si vous avez l’occasion de poser des questions, interrogez-les sur l’énergie extraite et son rythme de remplacement dans le sous-sol. On m’a dit que ces exploitants doivent forer de plus en plus creux pour trouver assez de chaleur.

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  4. Un article très intéressant, cependant, je me posais une question : l’Islande ne se fournit elle pas essentiellement grâce à la géothermie ? Je me doute que l’Islande bénéficie de conditions géologiques particulières, mais pourquoi est elle un des seuls pays à réussir là où tant d’autres échouent ?

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    1. Vous oubliez l’Indonésie ou les Philippines, où la géothermie est bien développée. Et ce ne sont pas des pays que l’on qualifie de « riches ». Donc la question qui vient et qui semble pertinente est : pourquoi un pays riche comme la France, et qui a un vrai potentiel géothermique (Alsace, Auvergne, vallée du Rhône, bassin parisien), ne le développe-t-elle pas ?

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  5. Votre article synthétise le sujet, mais laisse passer quelques erreurs grossières :
    – Il faut tout d’abord séparer les différents types de géothermie profonde, qui n’ont pas les mêmes contraintes ni le même impact : entre la géothermie classique sur réservoir, l’EGS et la boucle fermée, ce n’est pas du tout la même chose.
    – Le forage pétrolier descend souvent bien en-dessous de 2000m. La géothermie type EGS (et plus encore dans le cas de la boucle fermée) doit quant à elle aller au-delà dans un souci de rentabilité : plus on descend, plus c’est chaud, donc plus de chaleur on peut extraire pour un débit donné. Et en-dehors de quelques points très chauds dans le monde, il faut typiquement descendre à 5-6km pour être économique avec ces techniques. Le problème est que la roche à ces profondeurs est le plus souvent ce qu’on appelle le socle granitique, une roche volcanique plus dure à forer que les roches sédimentaires auxquelles les foreur pétroliers sont habitués.

    – « À plus de 1 500 mètres de profondeur, la roche devient instable » : en fait la roche la plus instable est en général proche de la surface…au contraire, le socle granitique est si stable qu’il ne demande souvent pas de cuvelage (ou casing, tube en acier cimenté indispensable dans la plupart des autres formations)

    – Du point de vue environnemental, votre article est un grand fourre-tout. Si l’exploitation de certains réservoirs profonds peut effectivement ramener à la surface des substances toxiques dissoutes dans l’eau, il faut mentionner que cette eau est réinjectée, et donc que rien ne reste à la surface. Avec les techniques EGS, ce problème est moins fréquent. Et avec les techniques en boucle fermée, le fluide qui circule dans le système est celui qu’on y met – donc parfaitement maîtrisable.
    De même, il faut comprendre que la radioactivité des roches qui génère la plus grande partie de la chaleur géothermique est quelque chose de très diffus : les roches granitiques sont toutes faiblement radioactives – on est plus soumis au rayonnement en habitant dans une maison bretonne en granit que dans une maison en bois à 20 km d’une centrale nucléaire… Sauf à avoir des grosses teneurs de certains sels radioactifs (Potassium ?) qui peuvent être présents dans le sous-sol, il est très peu probable que l’eau circulant dans une boucle EGS ou fermée doive être considérée comme un produit radioactif.

    La sismicité induite est associée à une seule technique (EGS), qui a besoin de forer dans des zones ou des failles existent déjà, et, pour être rentable, à proximité des centres urbains. Les variations de pression induites lors de la mise en production ou des tests induisent peuvent alors faire travailler ces failles et générer des séismes significatifs (Bâle ou Vendenheim). Ce problème ne concerne pas les autres techniques (réservoir ou boucle fermée notamment), qui n’ont pas besoin de cibler ces failles.

    Pour synthétiser, la géothermie haute température (production d’électricité) est, avec l’hydroélectricité, la seule énergie renouvelable « baseload », cad disponible à tout moment, jour et nuit, qu’il y ait du vent ou non. CAD que contrairement au solaire ou à l’éolien, il n’y a pas besoin de maintenir 1 MW de centrale à gaz (ou pire au charbon) pour 1 MW de panneaux ou d’éoliennes installés. Au contraire, la géothermie peut jouer ce rôle tampon.

    Son impact environnemental est plus fabile que la plupart des ER actuelles (peu d’emprise au sol, pas de risque pour les animaux, peu d’impact visuel, durée de vie très longue une fois le puits en place). On a les avantages d’un barrage hydroélectrique sans l’énorme impact environnemental associé : contruirait-on aujourd’hui les énormes digues de béton qui ont noyé certaines vallées des Alpes et des Pyrénées ?

    Son principal inconvénient c’est le coût et le niveau de risque associé à l’investissement. Les horizons de rentabilité sont très lointains, et le risque que le forage ne donne pas le rendement prévu est réel. Un peu comme un puits de pétrole en somme…sauf que les producteurs d’électricité n’ont pas la culture du risque qu’ont les pétroliers et que la rentabilité en cas de succès ne sont pas celles d’un gisement d’or noir.

    Nous sommes par contre actuellement à un point intéressant, avec des taux d’intérêt bas, un coût de forage très bas (le pétrole étant en crise, beaucoup d’appareils de forage sont aujourd’hui à l’arrêt) et une volonté politique d’investir dans les énergies vertes. Quel meilleur investissement dans ce cas pour les Etats que de développer une filière géothermique haute température, même si la rentabilité est à 30 ou 40 ans ? Les USA l’ont compris, avec notamment le projet FORGE du DoE. Certains états européens vont également dans la bonne direction. Il est temps à mon avis que l’Europe regroupe ses forces et ne se laisse pas distancer.

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    1. Merci pour ces précisions, c’est très intéressant. À noter que mon texte se fonde surtout sur l’expérience américaine, qui diffère probablement de l’expérience islandaise ou de l’expérience alpine. La radioactivité du sous-sol est très diffuse, en effet, et emprisonnée dans de la roche, mais on connaît, aux USA. des cas de boues de forage pétrolières assez radioactives – parfois au radium. Les quantités ne sont pas gigantesques, mais on parle ici de particules libres, qui peuvent être absorbées par les plantes et les animaux (y compris les humains) contrairement à leur matrice rocheuse d’origine.

      Je vois aussi que vous n’abordez pas la question du refroidissement graduel de la roche.

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