L’avenir contraint de la production uranifère chinoise

Bien que la Chine détienne en théorie d’importantes réserves d’uranium, le rythme de production sera contraint et la production pourrait plafonner dès 2042. De plus, le pays ne pourra couvrir qu’une faible partie de ses besoins en matière fissile et devra compter sur les importations, ajoutant de la pression sur un marché à l’avenir déjà incertain. Ce sont là les résultats d’une récente étude sur l’avenir de la production d’uranium en Chine.

Consommation d'uranium en Chine

L’originalité de l’étude de Jianchun Fang et de ses collègues est d’avoir appliqué au cas de l’uranium chinois les méthodes de Hubbert éprouvées depuis des décennies pour étudier les effets de la déplétion sur le pétrole. La méthode habituelle, qui consiste à diviser la taille des réserves (souvent mal connues) par le rythme de production annuelle, a le défaut de représenter la production comme une constante, alors qu’elle suit en réalité une distribution normale (en forme de cloche) qui correspond aux cycles successifs de montée, de plateau et de déclin déterminant les quantités réellement mises en marché.

Le calcul de la production future

Selon l’édition de 2016 du Red Book, cette évaluation des ressources uranifères compilée par l’OCDE, les réserves d’uranium de la Chine sont de 98 900 tonnes à un prix inférieur à 40 $ la tonne, ou de 272 500 tonnes si le prix augmente à 260 $. La méthode d’évaluation des réserves n’est pas très claire et varie selon les pays, mais pour simplifier la discussion, on tiendra pour acquis que cet ordre de grandeur est raisonnablement exact.

Selon l’Association nucléaire mondiale, la production chinoise d’uranium était de 1 885 tonnes en 2017. Il serait tentant de diviser les 272 500 tonnes de réserves ces 1885 tonnes de production pour en arriver à la conclusion rassurante qu’il reste pour 145 ans de réserves (jusqu’en 2162!), mais cette méthode n’est pas valide, parce qu’elle ne tient pas compte des contraintes géologiques sur le rythme d’exploitation.

L’équipe de Jianchun Fang a plutôt retravaillé les chiffres du Red Book pour définir trois scénarios, après quoi elle a appliqué une courbe logistique (courbe de Hubbert) sur ces données. De manière générale, l’examen des données de l’OCDE montre qu’à chacun des niveaux de prix possibles, elles contiennent environ un tiers de réserves solidement prouvées et deux tiers de ressources spéculatives. Sur cette base, les chercheurs construisent trois scénarios où la « ressource ultimement récupérable» se situe à 177 000, 321 000 et 409 000 tonnes d’uranium.

Scénarios uranium Chine

Que passe-t-il lorsque l’on applique la méthode de Hubbert à ces trois scénarios? La date du pic uranifère est respectivement 2042, 2058, ou, dans le meilleur des cas, 2065. Quant au niveau de production maximal, atteint lors du pic, il est respectivement de 1 989, 3 609 et 4 605 tonnes. Dans le scénario le plus optimiste, donc, la production chinoise d’uranium plafonne à 4 605 tonnes par année en 2065. Dans le pire des scénarios, il plafonne 1 989 tonnes (à peine plus que le niveau actuel) dès 2042. La production décline lentement par la suite. On notera aussi que la valeur de l’ultime permet un plafond de production plus élevé, mais retarde assez peu la date du pic uranifère.

Conséquences pour l’industrie nucléaire chinoise

Le scénario le plus optimiste prédit une hausse moyenne de la production annuelle d’uranium de 2,15 % par année. Les plans de développement de l’industrie nucléaire publiés par la Chine reposent sur une croissance de 7,69 % par année. Il y aura donc un écart croissant entre la demande et l’offre d’uranium en Chine. La Chine dépend déjà à 80 % d’uranium importé et achète actuellement 95 % des exportations du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan, de la Namibie et de l’Australie.

Uranium 2030 WNA

Selon les chercheurs, la consommation d’uranium en 2035 pourrait atteindre 20 500 tonnes, avec une production qui se situerait au mieux à 3 069 tonnes. Les importations seraient donc de 17 431 tonnes, sur une production mondiale totale que les chercheurs évaluent alors à 65 195 tonnes. L’Association nucléaire mondiale l’évalue toutefois à 55 000 tonnes seulement en 2030 et le chercheur suisse Michael Dittmar, qui s’inspire aussi des méthodes de Hubbert, l’estime à 41 000 tonnes à peine.

Quoi qu’il en soit, il est clair que la demande croissante de la Chine va limiter les quantités d’uranium disponibles pour de nouveaux projets dans le monde. Les chercheurs ne misent pas sur le recyclage du carburant pour combler une partie des besoins et n’évoquent pas non plus le déploiement de réacteurs rapides. Il faut dire qu’au moment du pic uranifère chinois, la flotte de réacteurs chinois sera en grande partie celle qui existe déjà ou qui est en cours de déploiement, qui utilise une technologie classique.

Les chercheurs recommandent plutôt au gouvernement chinois de s’assurer un accès aux réserves par le biais de fusions, d’acquisitions et de participations au capital-actions de gisements situés à l’étranger. Les pays situés sur le tracé de la nouvelle « route de la soie », où se situe le Kazakhstan, devraient être visés en priorité. Mais on peut se demander si la Chine pourra, en pratique, trouver de quoi alimenter ses ambitions nucléaires.

Sources :

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