Le pic pétrolier, déclencheur de la guerre civile syrienne

Il est généralement admis que la sécheresse et le prix élevé des denrées alimentaires ont joué un rôle important dans le déclenchement de la guerre civile qui ravage maintenant la Syrie depuis plus sept ans. On reproche aussi à Bashir al-Assad de s’être comporté durement en ne tentant pas d’alléger les souffrances de son peuple au début de la crise. Mais il n’en avait simplement plus les moyens. La production pétrolière du pays déclinait rapidement après son pic de 1996 et les finances de la Syrie étaient devenues extrêmement précaires. Portrait d’une lente descente aux enfers.

Syria Oil Production

Pour comprendre l’histoire, dressons d’abord un tableau de la situation. La Syrie est le seul producteur pétrolier de quelque importance de la partie est de la Méditerranée. Son histoire pétrolière remonte à 1959, avec la découverte du champ de Souedie, qui représente à lui seul les deux tiers du pétrole jamais découvert dans ce pays. Il s’agit d’un brut lourd d’assez mauvaise qualité, chargé en soufre, en nickel et en vanadium. Il y a eu une deuxième phase de découvertes entre 1985 et 1990, portant les découvertes cumulatives à environ 7,2 milliards de barils.

La production, qui était de l’ordre de 175 000 barils par jour au début des années 1980, a explosé à partir de 1986 pour atteindre un sommet de 583 000 barils en 1996. Elle n’était plus que de 368 000 barils en 2009, plus quelques condensats portant le total à près 400 000 barils d’équivalent pétrole. En 2010, après l’extraction de 5 milliards de barils, les réserves n’étaient plus qu’à 2,2 milliards, ce qui représente un niveau de déplétion très avancé.

Syria cumulative

En 2008, la Syrie produisait aussi 58,9 milliards de mètres cubes de gaz naturel, une quantité en lent déclin qui ne couvrait pas tout à fait ses propres besoins. Mais grâce à des investissements russes, la production était remontée à 102 milliards de mètres cubes en 2009.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, le pic pétrolier syrien s’est doublé d’une hausse soutenue de la consommation nationale, de sorte que les exportations de pétrole ont chuté de manière très marquée après 2001. La perte de revenus a été compensée un moment par la hausse du cours du Brent, mais en 2007, la consommation nationale avait presque rattrapé le niveau de la production, ce qui ne laissait plus grand-chose à exporter. En somme, la manne pétrolière s’était tarie.

Difficultés financières croissantes

Les revenus pétroliers de la Syrie ont commencé à décliner à partir de 2001. Ils représentaient 45 % des recettes de l’État en 2000, mais seulement 25 % en 2010. Le budget de l’État a néanmoins continué à augmenter au rythme de 9,4 % par année. Toutefois, les dépenses augmentaient encore plus vite, soit de 10,8 % par année. Résultat, le déficit budgétaire représentait 17 % des dépenses en 2010. Autrement dit, une lente, mais inexorable descente aux enfers.

Comment le gouvernement syrien a-t-il réagi? Il a augmenté l’impôt sur le revenu et les taxes, de même que coupé dans les subventions à l’achat de carburants. Ces mesures ont été applaudies par le Fonds monétaire international, mais ont été mal accueillies par la population. Il a aussi pigé dans les caisses de l’important secteur public du pays, qui dominait plusieurs secteurs comme l’énergie, les finances, le coton, les céréales, les fertilisants et le ciment. Ces ponctions ont eu des répercussions sur de très vastes pans de l’économie.

Syria account and oil balance

En conséquence, la balance commerciale connaît des déficits croissants à partir de 2007. Ceux-ci sont alimentés non seulement par le déclin de l’industrie pétrolière, mais aussi par celle des autres secteurs de l’économie. Par ailleurs, les réserves en eau du pays diminuent de moitié entre 2002 et 2008, en raison de la surexploitation et du gaspillage.

Sécheresse et crise

C’est dans ce contexte que survient la sécheresse de 2007-2010. Le secteur agricole est dévasté. Sans eau et sans argent, le gouvernement est impuissant. Le pays, qui était traditionnellement autosuffisant en céréales, doit massivement en importer, alors que les prix internationaux sont très élevés. Le prix des céréales en Syrie double de 2010 à 2011 et le gouvernement finance ses importations de nourriture en coupant dans diverses subventions. La misère de la population augmente. Le printemps arabe met le feu aux poudres.

On a beaucoup parlé de géopolitique du pétrole à propos du conflit syrien. Pour certains observateurs, la guerre serait reliée aux intérêts concurrents de l’Iran et des monarchies pétrolières du golfe en matière de pipelines gaziers. Il est possible que ces intérêts alimentent la guerre actuelle, mais ils ne se seraient jamais manifestés de la sorte si la Syrie n’avait pas d’abord été affaiblie et déstabilisée par les contrecoups de ses propres enjeux pétroliers – le pic de 1996 et la fin de la manne pétrolière.

 

Sources :

 

2 réflexions sur “Le pic pétrolier, déclencheur de la guerre civile syrienne”

  1. Ho la belle falaise de Sénèque !
    Ça montre bien que le pic pétrolier est soumis aux effets de seuil, et que les prédictions linéaires ont peut de chances de se réaliser, elles ne sont qu’un repère.
    Ceci dit, plus que les incertitudes sur les réserves, ce sont celles sur l’innovation qui rendre la prévision d’une date du pic hasardeuse.
    Notez que la Royat Society of London (scientifiquement sérieux donc) annonce elle aussi un pic pétrolier aux alentours de 2020. Nous verrons bien.
    L’Europe, en terme de consommation à déjà atteint son pic il y a 10 ans (de mémoire). Et on est toujours la. (pour l’instant).

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