L’augmentation de la teneur en carbone des sols agricoles et forestiers a souvent été avancée comme moyen de lutter contre les changements climatiques. L’initiative française « 4 pour 1000 » cherche même à réunir tous les acteurs du secteur agricole autour d’un objectif d’augmentation de 0,4 % par année pendant 20 ans du carbone du sol. Une récente étude britannique vient toutefois apporter un sérieux bémol : les pratiques recommandées, bien qu’efficaces et louables pour les sols, comportent de sérieuses limites pratiques limitant leur effet sur le climat.
L’étude a été menée dans le sud de l’Angleterre en compilant les données relatives à plusieurs parcelles expérimentales, dont plusieurs font l’objet d’essais depuis le milieu du XIXe siècle. Les données sont donc abondantes et accumulées sur le long terme, mais les différences de types de sol et l’évolution des pratiques de fertilisation au fil des ans ont compliqué le travail de comparaison. De plus, la teneur en carbone du sol n’a été évaluée que sur les 23 premiers centimètres, contrairement aux 40 cm suggérés par l’initiative 4 pour 1000. Les chercheurs ont estimé qu’une amélioration de 0,7 % par année sur 23 cm équivalait donc à 0,4 % sur 40 cm.
Les données d’ensemble confirment ce que l’on savait déjà : l’accumulation de carbone se fait plus rapidement dans des sols pauvres et tend ensuite à plafonner à une valeur de 75 à 80 tonnes par hectare après plusieurs décennies. Mais les chercheurs soulignent que même une augmentation modeste de la valeur en carbone du sol présente d’importants bénéfices en termes d’activité biologique, de stabilité du sol et de rétention d’eau, ce qui fait que le jeu en vaut la chandelle.

Méthodes de fixation du carbone mises à l’essai
Fin des cultures arables. L’une des méthodes les plus efficaces de stockage su carbone a été de laisser la forêt repousser sur les terres épuisées. La teneur en carbone du sol a doublé ou triplé en 100 ans, sans compter le carbone séquestré dans le tronc des arbres. La conversion de terres arables en prairies permanentes a permis d’augmenter la teneur en carbone de divers lots de 55 % en 58 ans.
Application de fumier d’étable. L’application annuelle de 35 tonnes de fumier par hectare a permis d’améliorer la teneur en carbone du sol de 0,8 à 1,4 % par année sur des périodes allant de 20 à 70 ans. Ceci dépasse largement les objectifs de « 4 pour 1000 », mais les chercheurs soulignent que peu d’agriculteurs disposent d’autant de fumier et qu’une application aussi soutenue expose les sols à la pollution par les nitrates et le phosphore.
Les chercheurs observent qu’un système agricole mixte, combinant des élevages sur herbe et des cultures arables sur un même terroir, maximiserait à la fois la production de fumier et son impact sur les sols en orientant la ressource vers les champs en ayant le plus besoin. Ces pratiques, communes dans le nord de l’Europe jusqu’au milieu du XXe siècle, se heurtent toutefois à la réalité des marchés agricoles qui favorisent la spécialisation par rapport à l’amélioration des sols que favorise la mixité élevage/cultures.
L’ajout de paille a eu un effet variable, mais généralement positif sur les parcelles, quel que soit le type de sol. Les gains sont toutefois moins importants qu’avec le fumier. De plus, les gains potentiels pour la lutte aux changements climatiques paraissent limités, puisque la ressource est déjà très utilisée. Dans plusieurs régions, la paille des céréales est déjà réincorporée au sol (près de 50 % en Angleterre) et le reste sert souvent de litière pour les animaux, ce qui en fait l’une des composantes du fumier d’étable.
Le passage d’une culture arable continue à une culture faisant place à des pâtures temporaires (de 3 à 8 ans) permet aussi d’atteindre les objectifs de 4 pour 1000. En fait, ce rythme d’amélioration peut être soutenu pendant des décennies. Mais ici encore, la rentabilité n’est pas au rendez-vous, ce qui limite l’intérêt de son adoption par les agriculteurs.
Obstacles pratiques
En somme, les pratiques évaluées sont toutes efficaces (à des degrés divers) pour fixer le carbone dans le sol. Mais elles sont souvent déjà utilisées près de leurs limites, ce qui limite les gains possibles pour le climat, ou se heurtent souvent à des problèmes pratiques qui freinent leur adoption, dont :
- des ressources insuffisantes, comme le manque de fumier causé par l’absence d’animaux, ou le manque de résidus agricoles, comme la paille
- l’impact sur la sécurité alimentaire de pratiques comme la conversion en forêts ou en pâturages
- l’impact sur les revenus des agriculteurs, qui peut toutefois être atténué par de meilleures politiques ou programmes de subventions.
Au final, les deux tiers des 114 traitements fertilisants éprouvés à long terme répondent aux exigences du programme « 4 pour 1000 », ce qui paraît encourageant. Mais les chercheurs estiment que les obstacles pratiques évoqués plus haut ne permettront pas de traduire les gains pour les sols en gains pour le carbone atmosphérique. « Promouvoir l’initiative 4 pour 1000 comme un apport important à la lutte contre les changements climatiques n’est pas réaliste, écrivent-ils. Bien entendu, tout apport à cette lutte est bénéfique (…) mais [il] sera d’une ampleur bien inférieure à ce qu’affirment ou sous-entendent les promoteurs de l’initiative. »
Sources :
- Major limitations to achieving “4 per 1000” increases in soil organic carbon stock in temperate regions: Evidence from long-term experiments at Rothamsted Research, United Kingdom
- Initiative 4 pour 1000
Et rien sur l’agroforestrie…?
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Il y a une petite section sur le reboisement, mais l’agroforesterie est trop nouvelle pour qu’on ait assez de recul, je pense. Cette étude est basée sur des séries longues, qui dépassent parfois les 150 ans.
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