Les grands scénarios de transition énergétique sont-ils vraiment aussi soutenables qu’on le prétend? Tiennent-ils réellement compte de tous les critères voulus de justice sociale et de respect des limites planétaires, ou se contentent-ils de limiter les émissions de CO2? Une équipe finlandaise dirigée par Michael Child s’est récemment penchée sur ces délicats enjeux. Elle a évalué les scénarios existants et proposé quelques garde-fous pour l’élaboration des prochains plans de transition.
L’étude de Child et de ses collègues de l’Université technique de Lappeenranta part de l’observation du fait que les scénarios de transition sont rarement neutres. Leurs commanditaires (gouvernements, ONG, entreprises) ont des motivations très différentes, qui colorent leurs analyses. De plus, les résultats sont souvent exprimés en termes d’atténuation des gaz à effet de serre seulement, en laissant de côté tous les critères liés à la justice sociale et aux limites planétaires.

Une des conséquences de cette vision uniquement tournée vers le CO2, c’est que les scénarios vont dans tous les sens, proposant des avenues qui réduisent toutes les émissions, mais avec des effets très variables sur les autres facteurs. En ce sens, ils ne sont pas tous également soutenables.
Les auteurs proposent essentiellement deux outils pour guider la rédaction de scénarios de transition ou évaluer leur pertinence. Le premier est une liste de vérification visant à mesurer la transparence de ces travaux. Divers scénarios existants sont évalués sur divers critères en fonction du niveau de divulgation : vert (explicite), jaune (divulgation partielle) et rouge (non divulgué/impossible à déterminer). Les catégories examinées sont les suivantes :
- Information générale : identité et des auteurs, identité des commanditaires, divulgation de la source du financement, objet de l’étude.
- Données : retraçabilité, distinction entre les valeurs présumées, mesurées et modélisées
- Hypothèses : Cadre du scénario explicitement défini, divulgation des coûts estimés, contraintes liées aux politiques climatiques envisagées, variantes envisagées
- Modélisation : retraçabilité des documents, description des propriétés du modèle
Le deuxième outil est une liste de vérification de critères de soutenabilité. Le même classement vert, jaune est rouge est utilisé, mais pour trois études seulement, soit l’étude Global Energy Assessment de l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA), le World Energy Outlook de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et l’étude A sustainable World Energy Outlook de Greenpeace. Les critères de soutenabilité proposés sont les suivants :
- Facteurs environnementaux : existence d’un scénario compatible avec un objectif de 2 °C; évaluation des moyens d’atténuer le stress sur les cycles du phosphore et de l’azote; atténuation de la perte de diversité; impact limité sur l’utilisation de terres (et limites sur le recours à la biomasse); atténuation de l’impact sur l’eau douce; réduction de la pollution chimique; atténuation des aérosols atmosphériques; atténuation de l’acidification des océans.
- Facteurs sociaux : accès universel à de l’énergie moderne dès 2030; perspectives d’amélioration pour la santé humaine; sortie du nucléaire; sortie des énergies fossiles; démocratie énergétique.
- Facteurs économiques : accélération de l’efficacité énergétique; sortie des modèles nocifs de subventions énergétiques.
Il est intéressant de constater à quel point les scénarios proposés par l’AIE et Greenpeace, centrés sur le seul enjeu des gaz à effet de serre, répondent peu aux critères de soutenabilité proposés.
Les auteurs concluent en rappelant que les limites des grands systèmes naturels de la Terre sont connues et que les modèles de transitions doivent en tenir compte pour être pertinents comme outils d’aide à la décision. Les listes de vérification proposées peuvent aussi être utiles aux décideurs quand vient le temps d’évaluer la qualité des scénarios qui leur sont proposés.
« Ceci, écrivent-ils, permettrait non seulement d’atteindre les objectifs d’atténuation des changements climatiques, mais aussi de créer un système énergétique plus résilient. Ceci permettrait de conclure un contrat social valide avec les générations à venir, qui seraient aussi les bénéficiaires d’un système sociotechnique promis à une si longue vie. »
Source :
Michael Child, Otto Koskinen, Lassi Linnanen et Christian Breyer : Sustainability guardrails for energy scenarios of the global energy transition
L’approche est intéressante et nécessaire. Néanmoins, il me semble qu’il manque un certain nombre d’éléments qu’il serait utile d’avoir pour se faire une idée de la pertinence du scénario : disponibilité des matières premières pour faire ce que propose le scénario et prise en compte des bouleversements géopolitiques associés, disponibilité des compétences ou évaluation des transitions de compétences à réaliser (en prenant compte les facteurs humains de possible résistance, le « volume » d’humains disponibles, … et pas seulement dire : « pour faire ça, il faudra former à ces nouveaux métiers »), besoins financiers, résultats prévus, diagnostic de la situation et solutions proposées au regard du diagnostic
A ce titre, je ne comprends pas pourquoi la sortie des énergies fossiles et du nucléaire figurent dans la rubrique « Facteurs sociaux ». S’il me semble effectivement nécessaire de sortir des énergies fossiles, pourquoi le nucléaire est-il mentionné comme un pré-requis ? Que l’on soit pour ou contre, il est peu émetteur de GES. D’un point de vue scientifique, éliminer une énergie qui peut contribuer à une partie de la solution me semble « bizarre ». Par contre, une présentation de l’analyse des risques de cette énergie m’apparaîtrait nécessaire, et les questions associées = selon le point de vue que l’on adopte, il me semble tout à fait juste qu’on puisse vouloir sortir du nucléaire ou, au contraire, vouloir le conserver/développer. Encore faut-il que ces points de vue soient précisés.
Par ailleurs, car je cherche à comprendre, savez-vous ce que sous-tend la mention sur le « cycle du phosphore et de l’azote ?
D’avance merci des réponses que vous pourriez apporter
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Ce sont des questions valables. En ce qui concerne les matières premières, l’étude n’en traite que très brièvement et les facteurs géopolitiques, pas du tout. Il s’agit d’abord d’un cadre d’évaluation de scénarios techniques.
La question du nucléaire, par contre, est bien expliquée dans le texte. Les auteurs y voient un enjeu social parce les bénéfices du nucléaire ne profitent qu’à la population actuelle, tandis que les coûts de décontamination des sites et de gestion des déchets devront être assumés par les générations à venir. L’enjeu est donc celui de l’équité intergénérationnelle, ce qui en fait un problème social plus que technique.
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