Le pic pétrolier a 20 ans!

En mars 1998, la revue américaine Scientific American publiait « The End of Cheap Oil » (La fin du pétrole bon marché), un article qui allait secouer à la fois l’industrie pétrolière et les écologistes. Deux géologues pétroliers y démontraient chiffres à l’appui, que les réserves de pétrole facile à exploiter se raréfiaient et qu’en conséquence, la production pétrolière conventionnelle allait plafonner dans les dix ans. Une prédiction audacieuse, qui allait se confirmer dès 2006.

The End of Cheap Oil

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour comprendre à quel point l’idée d’un pic imminent de la production pétrolière était audacieuse. Après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, l’industrie avait massivement investi dans le développement de nouvelles ressources. Pendant toutes les années 1980 et 1990, le pétrole avait coulé à flots, maintenant les prix artificiellement bas. En 1998, le pétrole se vendait 15 $ par baril en moyenne, ce qui correspond à environ 22 $ de nos jours après inflation.

Mais les deux auteurs, l’Américain Colin J. Campbell et le Français Jean H. Laherrère, n’étaient pas les premiers venus. Ils étaient tous deux des géologues pétroliers chevronnés ayant connu un énorme succès dans l’exploration. Laherrère, par exemple, était connu pour la découverte du plus grand champ pétrolier d’Afrique. De plus, ils avaient accès non pas aux données publiques sur le pétrole (souvent gonflées pour des raisons commerciales) mais aux bases de données privées de l’industrie.

Leur article estimait qu’il restait environ 1000 milliards de barils de brut conventionnel à extraire dans le monde. Une quantité considérable en apparence, mais qui allait conduire à brève échéance à un plafonnement permanent de la production et à une pression sur les prix. « Le monde ne va pas manquer de pétrole – du moins, pas tout de suite, concluaient-ils. Ce qui attend notre société, et bientôt, est la fin du pétrole abondant et bon marché sur lequel dépendent toutes les nations industrielles. »

Stupeur et incompréhension

L’article de mars 1998 provoqua une onde de choc considérable, mais fut le plus souvent mal compris. L’idée de Campbell et Laherrère était que l’industrie allait bientôt atteindre un sommet inégalé – et que ce jour de gloire allait aussi marquer le début d’un lent déclin. Bref, ce n’était pas un problème de réserve, mais de débit de production. Partisans comme opposants comprirent plutôt que le pétrole était sur le point de se tarir.

Chez les partisans – et notamment chez plusieurs écologistes – l’idée se répandit que le pétrole allait vite se tarir complètement et que ceci allait soit conduire à un effondrement dramatique de la société industrielle, soit à une accélération massive de la transition énergétique. Chez les opposants, dominés par les économistes et l’industrie financière, l’idée se répandit plutôt qu’il n’y aurait aucun problème, puisque la technologie allait permettre d’exploiter d’autres sources « inépuisables » de pétrole.

La forte croissance de l’industrie du pétrole de schiste depuis 2010 semble avoir donné raison aux opposants. Il faut toutefois se souvenir que les prévisions de Campbell et Laherrère ne concernaient que le pétrole conventionnel et qu’elles ne concluaient pas à un épuisement soudain, mais à une hausse de prix. Or, l’Agence internationale de l’énergie reconnaît aujourd’hui que la production de brut conventionnel a plafonné en 2006 et qu’il a lentement décliné d’environ 70 à 65 millions de baril par jour. Quant au prix du pétrole, il a triplé après inflation depuis 1998.

En réalité, la fin du pétrole bon marché et de l’énergie facile reste un thème plus pertinent que jamais. l’exploitation des schistes n’a globalement jamais été rentable : l’industrie pétrolière y a perdu près de 280 milliards $ depuis 2007 et le déficit se creuse en dépit des progrès technologiques dans le secteur. La technologie ne semble pas destinée à avoir le dessus sur les réalités géologiques.

L’idée du pic pétrolier a perdu de sa popularité ces dernières années. Mais la déplétion pétrolière et ses effets sur le débit de la production continuent d’affecter l’industrie de nos jours et se traduisent par les prix élevé de la ressource et de l’exploration. La production se maintient et a même augmenté quelque peu depuis 2006 grâce au pétrole de schiste. Mais combien de temps ces coûteux efforts pourront-ils être soutenus?

 

Source :

The End of Cheap Oil (Scientific American, mars 1998)

 

2 réflexions sur “Le pic pétrolier a 20 ans!”

  1. A reblogué ceci sur Journal d'un jeune écologisteet a ajouté :
    Un article du blog « Énergie et Environnement » qui traite d’un sujet assez tabou, mais pourtant essentiel. La croyance populaire étant que nous ne manquerons jamais de pétrole et/ou que les nouvelles technologies et de nouvelles ressources viendront le remplacer, cela vaut la peine de rétablir la réalité scientifique concerant notre approvisionnement en pétrole.

    Car ce n’est en fait pas un problème de réserves auquel nous sommes confrontés. Évidemment, nous avons encore beaucoup d’or noir sous les pieds. Mais la vraie question est « pourrons-nous l’extraire ? ». Et certains chercheurs se sont posés cette question dès les premiers chocs pétroliers…

    Extrait :

     » Leur article estimait qu’il restait environ 1000 milliards de barils de brut conventionnel à extraire dans le monde. Une quantité considérable en apparence, mais qui allait conduire à brève échéance à un plafonnement permanent de la production et à une pression sur les prix. « Le monde ne va pas manquer de pétrole – du moins, pas tout de suite, concluaient-ils. Ce qui attend notre société, et bientôt, est la fin du pétrole abondant et bon marché sur lequel dépendent toutes les nations industrielles. » « 

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