Un parc éolien attribué par le gouvernement britannique en septembre 2019 pourrait bien devenir le premier en son genre à ne nécessiter aucune forme de subvention. De manière générale, le coût de revient de l’électricité éolienne a baissé si rapidement qu’il atteint actuellement les niveaux qui étaient prévus à l’origine pour… 2050. Ce sont là les constats d’une étude récemment publiée dans Nature Energy, qui conclut que dans les marchés les plus avancés, l’éolien offshore pourrait bientôt devenir une source de redevances, plutôt qu’un gouffre à subventions.
L’équipe de chercheurs, menée par Malte Jansen de l’Imperial College de Londres, s’est intéressée aux appels d’offres pour des parcs éoliens offshore (l’éolien terrestre n’est pas couvert par l’étude) lancés entre 2005 et 2019 dans tous les pays qui ont lancé au moins deux appels d’offres. Cela lui a permis de constituer une base de données de 41 parcs attribués lors de 17 enchères dans cinq pays européens et dont la capacité est de 20 GW, soit 77 % de la capacité totale en Europe.
L’approche classique pour déterminer la rentabilité de tels projets consiste à calculer leur coût unitaire moyen actualisé (en anglais : levelized cost of electricity ou LCOE). Toutefois, les coûts exacts des projets constituent souvent un secret commercial, ce qui rend ces calculs difficiles à faire avec précision. L’équipe de Malte Jansen a plutôt développé une approche basée sur les revenus, qui sont plus faciles à prévoir que les coûts et qui permettent de surcroît de tenir plus facilement compte des subventions et des prix de soutien.
Ce travail d’harmonisation des données a permis de dégager deux tendances dans l’évolution des prix de l’électricité éolienne. La première courbe, la plus douce, tient compte de tous les points de données depuis 2010. La seconde courbe, beaucoup plus abrupte, ne tient compte que des données récentes, recueillies entre 2015 et 2019. Elle montre que la baisse du prix de revient a accéléré de manière marquée ces dernières années. Elle indique aussi que le niveau des subventions implicites et explicites des projets (appelées subventions effectives) a également connu une chute extrêmement rapide, de l’ordre de 10 euros par MWh chaque année depuis 2015.
Ces deux courbes sont reportées dans deux graphiques distincts, qui correspondent à deux scénarios distincts. Le graphique a montre l’évolution du niveau des subventions effectives en fonction de la date d’entrée en service du parc, lorsque le coût du raccordement au réseau électrique national est entièrement déboursé par le promoteur. Il montre que le niveau total des subventions devrait chuter à zéro dès 2025, même dans ce scénario très désavantageux pour les producteurs.
Le graphique b montre la même évolution des subventions effectives, mais dans un scénario où le coût de raccordement est déboursé par l’exploitant du réseau électrique (c’est-à-dire où le coût est socialisé par tous les utilisateurs). Dans ce second scénario, le niveau des subventions effectives chute à zéro dès 2023. Ces résultats ne s’appliquent pas tels quels dans tous les pays du monde, mais valent pour les pays européens qui ont déjà une forte expérience de déploiement éolien offshore, comme la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark et l’Allemagne. La Belgique est en situation intermédiaire entre ces pays de pointe et le reste de l’Europe. La situation en Amérique du Nord n’a pas été évaluée.
Que se passera-t-il lorsque ces parcs éoliens ne dépendant pas des subventions entreront en service? L’équipe de chercheurs pense que les lanceurs d’appels d’offres pourront commencer à exiger des redevances de la part des producteurs d’électricité éolienne. Après tout, les meilleurs sites, les plus venteux, ont de la valeur et les producteurs devraient être prêts à payer pour s’en réserver l’accès. Cette tendance est déjà à l’œuvre, puisque les producteurs sont déjà engagés dans une course à l’occupation des meilleurs sites, même en contexte subventionné.
Quant aux parcs britanniques attribués en septembre 2019, il s’agit d’un lot de 12 parcs, dont six offshore d’une capacité totale de 5,5 GW et six terrestres totalisant 0,3 GW. On s’attend à ce qu’ils produisent ensemble 29TWh d’électricité après leur mise en 2023 et 2024 (notez le court délai de déploiement), soit l’équivalent de 9 % de la production électrique britannique en 2018. Le contrat stipule que l’électricité sera vendue au prix de 44 livres (49 euros) du MWh en 2023. Ce projet, selon les chercheurs, sera le premier à produire sans subvention effective.
Les travaux de l’équipe de Jansen montrent que l’éolien non subventionné est à portée de main, mais suggèrent aussi que les programmes d’aide offerts par les gouvernements, qui se basent sur la méthode du coût unitaire moyen actualisé, sont probablement trop généreux. Des appels d’offres un peu mieux conçus permettraient d’ores et déjà d’obtenir des prix plus avantageux.
Sources :
- Iegor Repin, Malte Jansen et al. The era of ‘negative-subsidy’ offshore wind power has almost arrived
- Malte Jansen et al. Offshore wind competitiveness in mature markets without subsidy, in Nature Energy, 2020.