Dans un blogue récent, Ugo Bardi attire l’attention sur le déclin de la production mondiale de ciment. Depuis 1940, celle-ci doublait tous les dix ans, à un rythme remarquablement constant et indépendant des crises économiques. Mais en 2015, cette croissance s’arrête sans crier gare. Le phénomène n’a pas encore beaucoup attiré l’attention des médias, mais les nouvelles données pour 2018 confirment ce plafonnement de la production, qui est peut-être un signe avant-coureur de la fin de la croissance.
Le tableau annuel de la production mondiale de ciment montre combien la transition a été brutale. Dans les années 2000, en particulier, la croissance est soutenue et exponentielle. En 2009, la production mondiale de ciment augmente de 7 % en une seule année. Mais cette tendance prend fin d’un seul coup en 2015, sans le moindre signe avant-coureur. La production mondiale de ciment poursuit son lent déclin depuis.
Cette moyenne mondiale masque un certain nombre de variations régionales. La Chine, par exemple, représentait 57 % de la production mondiale de ciment en 2015. Cette année-là, la crise de l’industrie chinoise de la construction a provoqué un recul de 5 % de la demande de ciment. Le déclin du ciment chinois se poursuit, mais il est en partie compensé par une hausse de la production en Inde et en Asie du Sud-Est.
Si l’influence de la Chine est dominante, ce n’est toutefois pas le seul pays à participer au recul du ciment. D’autres pays sont également touchés depuis une décennie, même si les données ont été quelque peu masquées par les moyennes mondiales. Ugo Bardi observe que la production italienne de ciment est en déclin depuis 2010. Steve Rocco note pour sa part que la production américaine de ciment a chuté de 43 % entre 2006 et 2009. Et ce, même si le PIB du pays continuait d’augmenter ce qui aurait normalement dû alimenter la demande. En 2015, la production américaine était toujours de 23 % inférieure à son niveau de 2006.
Le pic du ciment est-il là pour rester? En principe, rien n’interdit une reprise de la production dans un avenir prochain. Il n’existe pas de contraintes géologiques au niveau de production de ciment, contrairement à celles qui existent notamment pour les sources d’énergie soumises à une forte déplétion (pétrole, gaz, charbon, uranium). Mais ce soudain plafonnement de la production dans un contexte de croissance économique soutenue demeure une anomalie difficile à expliquer.
Un signe avant-coureur de la fin de la croissance?
L’explication se trouve peut-être dans l’étude Limits to Growth de 1972 (le « rapport Meadows »). Le modèle qu’on y décrit montre que plus la civilisation industrielle se développe, plus elle doit dépenser de capitaux pour contrebalancer les effets des dégâts qu’elle provoque. Il faut par exemple investir des sommes toujours plus élevées dans la dépollution de l’eau potable, dans la fertilisation des terres épuisées ou dans des équipements miniers capables d’exploiter des gisements à très faible teneur. Tôt ou tard vient un moment où il ne reste plus assez d’argent pour investir dans de nouveaux équipements productifs, ou même pour entretenir les équipements existants. Une spirale de déclin s’amorce alors.
Nous trouvons-nous au seuil d’une telle situation? Il est trop tôt pour l’affirmer avec certitude, mais le plafonnement de la production d’un bien aussi intimement lié à la croissance industrielle que le ciment est extrêmement troublant. Surtout si l’on ne souvient que Limits to Growth prévoyait que la production industrielle plafonnerait aux alentours de… 2015.
Sources :
- Ugo Bardi, What Happened in 2015 that Changed the World? Peak Civilization, Maybe?
- Steve Rocco, A Large Crack Appeared In The Global Market…. And No One Noticed
- Cemnet, Cement in 2019
En plus des coûts qui augmentent pour la prise en compte de l’environnement dans les projets, n’y aurait-il pas aussi un lien avec l’augmentation constante des dividendes d’année en année.
Pour ce qui est de la France, par rapport à une dizaine d’année, le besoin de rémunérer les actionnaires n’était pas si présent et les investissements restaient forts… Aujourd’hui les grands projets qui étaient commandés par les grosses entreprises privées restent dans les cartons et ils préfèrent payer leurs actionnaires plutôt qu’investir. En parallèle ils demandent aux salariés d’être plus rentables et réduisent leurs frais de structure pour continuer à faire du bénéfice.
Il me semble qu’il y a une frilosité générale à investir (suite à 2008 et de la prochaine crise qui arrive) mais ils continuent à faire des bénéfices…
Est-ce que l’on ne serait pas dans une situation où tout le monde essaye de s’en mettre plein les poches avant que les robinets se ferment ?
Il ne me semble pas que c’était anticipé par le rapport meadows, mais ca pourrait être un facteur aggravant…
J’aimeJ’aime
C’est une piste intéressante, j’y ai déjà réfléchi aussi. Ça rejoint aussi les thèses de Piketty. Plus de rémunération des actionnaires dans un contexte de revenus à la baisse.
J’aimeJ’aime
« Il n’existe pas de contraintes géologiques au niveau de production de ciment, contrairement à celles qui existent notamment pour les sources d’énergie soumises à une forte déplétion »
???
https://fr-fr.facebook.com/jeanmarc.jancovici/posts/10157151608727281
http://mi.lapresse.ca/screens/24a9ea96-33f4-43f9-999b-4d4c597a9fb8__7C___0.html
https://www.lesechos.fr/24/02/2016/LesEchos/22136-044-ECH_la-guerre-mondiale-du-sable-est-declaree.htm
Juste quelques exemples.
J’aimeJ’aime
Vous confondez ciment et béton. Le ciment est fait à partir de calcaire, c’est le béton qui exige l’ajout d’agrégats.
J’aimeJ’aime
J’avoue, sauriez vous quel est le pourcentage d’utilisation de ciment hors béton ?
J’aimeJ’aime