Pétrole et gaz de schiste américain : l’état des lieux

Les zones d’exploitation du pétrole et du gaz de schiste sont dans un état de déplétion beaucoup plus avancé que ce que laissent entendre les statistiques de l’EIA, l’agence américaine d’information sur l’énergie. C’est du moins ce qu’avance le géologue canadien David Hughes, dans un rapport publié en décembre 2021 par le Post Carbon Institute. L’EIA prévoit un niveau de production élevé jusqu’en 2050, mais le total représente 4,5 fois les réserves de pétrole et 3,6 fois les réserves de gaz démontrées, ce qui paraît douteux.

David Hughes est une sommité dans son domaine. Il a 40 ans de métier, dont 32 à la Commission géologique du Canada, où il a coordonné les efforts nationaux d’évaluation des réserves de charbon et de gaz non conventionnel. Il publie depuis dix ans une série de rapports au Post Carbon Institute, ainsi que diverses autres publications qui lui ont conféré une réputation internationale.

Dans son étude, David Hughes critique le Annual Energy Outlook 2021, un rapport de l’EIA qui compile chaque année les sources d’énergie dont disposent les États-Unis, ainsi que des prévisions de production jusqu’en 2050. Ce rapport propose plusieurs scénarios, mais celui qui sert de référence prévoit que les schistes produiront 69 % du pétrole et 77 % du gaz aux États-Unis entre 2020 et 2050.

Les puits de pétrole et de gaz de schiste ont toutefois la particularité de s’épuiser très rapidement. La production d’un puits donné chute de 75 à 90 % en trois ans seulement et sans nouveaux forages continuels, la production d’une zone peut chuter de 25 à 50 % en un an. La qualité de ces zones d’exploitation est également irrégulière et présente un mélange de bons secteurs (sweet spots) exploités en priorité et de zones peu productives et sans intérêt qui sont délaissées, car non rentables. Les bons secteurs ne couvrent au mieux que 20 % des zones pétrolières et gazières de schiste.

Après l’explosion initiale de cette production en 2011, les efforts de forage se sont concentrés sur les bons secteurs à partir de 2014 et ceux-ci ont rapidement été saturés. Les efforts se sont déplacés vers des secteurs moins avantageux, mais ceci s’est traduit par une hausse de coûts d’investissement par puits et une hausse du prix du pétrole ou du gaz nécessaire pour justifier ces forages.

La production a néanmoins augmenté de manière soutenue de 2011 à 2019. Elle est actuellement de 12 % inférieure à celle de son sommet de 2019, mais il est difficile de départager ce qui est dû à la déplétion géologique de la ressource et ce qui est lié à la baisse de la demande en temps de pandémie. Certaines zones de production pourraient encore rebondir au-delà de leur niveau de 2019-2020, tandis que d’autres sont de toute évidence en déclin terminal.

Critique des chiffres de l’EIA

Comment l’EIA en arrive-t-elle à prévoir une production représentant 4,5 fois les réserves de pétrole et 3,6 fois les réserves de gaz démontrées d’ici 2050? Selon David Hughes, son erreur consiste à extrapoler à l’ensemble d’une zone pétrolière ou gazière les niveaux de rendement observés jusqu’ici. Cette approche est fortement biaisée, parce que les meilleurs secteurs sont exploités en premier, laissant de côté les secteurs marginaux ou carrément inexploitables. L’EIA considère aussi de manière très optimiste que le coût de forage et de mise en service d’un puits ne dépassera pas 30 dollars le baril, ce qui est déjà le niveau actuel.

David Hughes estime donc que le niveau de production d’ici 2050 sera inférieur aux prévisions de l’EIA. Il calcule aussi que le scénario de référence de l’EIA exigerait le forage de 643 105 puits, au coût estimé de 4 360 milliards de dollars (pétrole et gaz combinés). Cet effort et cette dépense s’arriment mal aux autres priorités américaines en matière d’environnement et de sécurité énergétique.

Le chercheur observe aussi que six des sept zones de pétrole de schiste analysées (représentant 98 % de la production) sont déjà en déclin. Pendant l’été 2021, leur niveau de production était de 15 à 41 % inférieur à celui observé lors de leur pic. Dans le cas du gaz, cinq des six zones étaient en déclin, à des niveaux de 12 à 66 % inférieurs à celui de leur pic. Deux de ces zones, Barnett et Fayetteville, ont atteint leur pic dès 2011 et 2012 et sont en déclin terminal, les nouveaux forages étant rares.

Les constats zone par zone sont résumés dans ce tableau. Les blancs représentent une absence de production ou un pic non encore atteint.

Pétrole et gaz de schiste 2021 v2

En conclusion, David Hugues estime que si la production de pétrole et de gaz de schiste va demeurer élevée à courte et moyenne échéance, les prévisions trop optimistes rendent un mauvais service à la stratégie énergétique à long terme des États-Unis. Non seulement le pays va demeurer un importateur net de pétrole jusqu’en 2050, même selon les estimations optimistes de l’EIA, mais la production risque de plus d’être inférieure aux prévisions, à un coût plus élevé. La « révolution du schiste » a donné 15 ans de répit au pays, mais celui-ci touche à sa fin.

Source :

David Hugues, Shale Reality Check 2021, Post Carbon Institute, 8 décembre 2021

5 réflexions sur “Pétrole et gaz de schiste américain : l’état des lieux”

  1. Bonjour. Tout d’abord merci de votre travail de vulgarisation. Je vous souligne l`article portant sur le numérique publié dans Le Monde aujourd’hui. ( 10 janvier) Après les chiffres sur le coût énergétique des monnaies numériques et les transactions minées le déploiement des technologies 5G (et 6G bientôt) et de la mise en place des métavers on ne peut que désespérer vers une possible décarbonation de notre monde et une société de sobriété . Existe t’il des organismes chargés d’évaluer et réguler la dépense environnementale du numérique au Canda ?

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