L’Australie, championne de la transition dès 2030?

L’Australie se lance actuellement dans un effort de transition écologique particulièrement audacieux. On prévoit que l’électricité y sera 100 % renouvelable certaines journées dès 2025. Les carburants fossiles ne joueront plus qu’un rôle d’appoint en 2030. Il ne s’agit pas d’un simple modèle, mais d’un projet qui est déjà bien lancé avec les parties prenantes. Les défis techniques sont identifiés, de même que le processus pour les résoudre. L’Australie, aujourd’hui connue comme un leader du charbon, pourrait disposer du système renouvelable le plus avancé au monde en 2030.

En Australie, l’électricité n’est pas gérée par le gouvernement ou par une société d’État, mais par une société indépendante à but non lucratif regroupant sur un pied d’égalité des représentants de l’État et des entreprises productrices. Ce regroupement d’entreprises se nomme AEMO (Australia Energy Market Operator, ou exploitant du marché australien de l’énergie). Il distribue le courant à travers un réseau appelé le NEM (National Electricity Market, ou marché national de l’électricité), qui regroupe six des sept territoires australiens.

Au début de 2021, l’AEMO a réuni toutes ses parties prenantes pour se doter d’un plan de transition énergétique extrêmement ambitieux. Après diverses rondes de discussion, une feuille de route détaillée a été publiée au début de décembre. Les Australiens n’en sont plus au simple énoncé d’intention, mais en sont déjà à l’étape de l’ingénierie de système. Un autre rapport technique doit paraître en mars 2022, mais le plan est essentiellement déjà en route.

Australie feuille de route 1

Le système est actuellement basé sur 23 GW de grosses unités au charbon. Ce nombre devrait passer à 21 en 2025, puis 9 en 2030. Le plan mise largement sur le solaire sur toit, dont la capacité actuelle de 15 GW devrait passer à 24, puis 35 GW. La part des grands parcs d’énergie variable (solaire et éolien) passera des 15 GW actuels à 23, puis à 43 GW. La capacité de stockage, actuellement de 13 GWh à peine, passera à 20, puis à 400 GWh. Le système, qui répond en ce moment à une demande oscillant entre 15 et 32 GW, fonctionnera sur une plage échelonnée entre 4,9 et 38 GW en 2030.

Le système de production électrique est actuellement dominé par un petit nombre gros générateurs synchrones au charbon, avec des apports d’électricité renouvelable parfois importants localement. En 2030, le système sera extrêmement décentralisé, ne comptera plus qu’une poignée de générateurs synchrones et reposera en majeure partie sur les renouvelables non plus synchrones, mais basés sur l’utilisation d’onduleurs, le tout appuyé par beaucoup de stockage sur batterie. L’enjeu pour les ingénieurs est de développer un cadre permettant d’intégrer ces sources décentralisées, mais la chose leur apparaît très réalisable au final.

AEMO estime que le cadre d’intégration sera en place d’ici 2025 et que la transition battra son plein d’ici 2030. Le programme pourrait être complété dans 20 ans.

Philosophie de conception

L’AEMO note que le NEM évolue rapidement depuis quelques années, mais souligne que le changement doit être plus rapide encore et se faire de manière planifiée entre les divers acteurs pour de meilleurs résultats. Ses principaux constats sont les suivants :

    • La transition exigera des décisions délibérées (pas laissées aux simples forces du marché) sur l’architecture du réseau et sur sa résilience, c’est-à-dire sa tolérance au risque
    • L’approche de conception et de financement des projets doit s’adapter au rythme d’implantation recherché
    • Pour contrer la variabilité accrue de la production, il faut expérimenter plusieurs approches de flexibilité en même temps
    • Les consommateurs, les fournisseurs d’électricité et les équipementiers jouent tous un rôle important, que doit refléter le nouveau cadre réglementaire
    • La transition est complexe et exige un apport des analystes aussi bien que des ingénieurs
    • Les systèmes de contrôle visant à conserver l’équilibre entre l’offre et la demande doivent être conçus de manière holistique
    • Les nouveaux systèmes doivent pouvoir être soumis à des essais dans un environnement contrôlé et selon des normes préalablement approuvées

Gestion des lacunes

Plusieurs décisions de design ont déjà été prises depuis le début de 2021. Les concepteurs ont divisé les enjeux en trois grandes catégories : les attributs (qualités désirées pour le système), l’opérabilité et l’intégration. La feuille de route détaille les choix qui restent à faire à court terme (2025) dans chaque catégorie, de même que les principaux risques techniques à régler à chaque étape – ce que le document appelle les lacunes. Elle précise aussi quelle partie du système est concernée par ces choix.

Australie feuille de route 2

Le cadre fait le choix de régler les problèmes au fur et à mesure, souvent par l’expérimentation, plutôt que de chercher toutes les réponses avant de se lancer. Les parties prenantes d’AEMO ont toutefois dressé une liste très complète des enjeux à régler. Ils en ont identifié plus de 300, qui ont eux aussi été classés selon qu’ils concernaient les attributs, l’opérabilité ou l’intégration. Certains sont mineurs, d’autres plus importants. Les lecteurs curieux peuvent consulter la feuille de route, qui les énumère tous.

Les principales lacunes identifiées dans la catégorie des attributs concernent des éléments comme l’évaluation de la variabilité de l’offre et de la demande, ainsi que son impact sur la stabilité du réseau. Il faut aussi préciser les connaissances sur le mix de ressources optimal pour répondre à la demande et élaborer des protocoles de gestion des risques. L’accent dans cette catégorie n’est pas mis sur le choix des équipements, mais sur les systèmes de gestion à mettre en place pour favoriser le changement.

Du côté de l’opérabilité, il faut construire de meilleurs systèmes de suivi en temps réel et mieux y intégrer les données météo. Il faut ensuite apprendre à utiliser ces systèmes de prévision pour quantifier le risque à diverses échéances et établir des critères techniques de décision et des marges de sécurité pour la gestion de l’équilibre du réseau. Les procédures actuelles de contrôle du réseau doivent progressivement être mises à jour en fonction de ces nouvelles données.

En ce qui concerne l’intégration, il reste à mieux comprendre l’impact d’une production distribuée (plutôt que centralisée) sur le fonctionnement du réseau, à la fois en termes de temporalité et de distribution spatiale. Il faut ensuite établir des normes d’interopérabilité permettant une flexibilité maximale dans le choix des sources d’énergie et permettant aussi de limiter l’injection dans le réseau au besoin. Il faut aussi établir des protocoles facilitant la coopération entre les exploitants de parcs PV et éoliens et les exploitants de capacités de stockage.

Ce qui est remarquable dans cette feuille de route, c’est que la discussion ne porte plus du tout sur le choix des technologies, ou sur leurs caractéristiques techniques. L’industrie n’en est plus là. L’enjeu principal s’articule maintenant autour de la gestion des systèmes d’énergie renouvelable – c’est un problème de management, plus que de technologie. Il est question de gestion probabiliste de l’offre et de la demande, de protocoles d’assignation des ressources, de méthodes de coordination entre les différents fournisseurs.

Au final, AEMO estime qu’environ 50 % de son électricité sera de source renouvelable dès 2025 et qu’on devrait aussi voir certaines journées à 100 % à partir de cette date. L’objectif pour 2030 n’est pas précisé, mais on notera que l’exploitant prévoit livrer jusqu’à 38 GW de courant en pointe avec l’équivalent de seulement 9 GW de grosses génératrices synchrones au charbon. Le reste sera couvert par de l’électricité de source « variable » Ce terme qui est préféré à « intermittente » qui laisse entendre de manière abusive que la production peut tomber à zéro.

Ce programme de transition très dynamique est facilité par le fait que l’Australie est particulièrement bien pourvue en soleil et en vent. Mais il reste qu’en termes de pénétration des renouvelables, le pays devrait être parmi les meneurs en 2030. La décision de faire évoluer les pratiques de manière concertée et systématique, plutôt que par un ensemble de décisions prises à la pièce, pourrait bien faire de l’Australie l’exemple à suivre d’ici quelques années.

Source :

AEMO. NEM Engineering Framework, Initial Roadmap, December 2021.

12 réflexions sur “L’Australie, championne de la transition dès 2030?”

  1. Le pari de l’Australie ressemble à celui de l’Allemagne… avec comme talon d’Achille que la part de production d’électricité pilotable est très largement établie sur le stockage d’énergie renouvelable. Il y a fort à parier que le rendement de centrales nucléaires au Thorium dissous dans du sel fondu (Thorium Molten Salt Reactor) serait une avenue plus prometteuse. C’est du moins celle empruntée par la Chine avec le centre de recherche SINAP situé à Shanghai où travaillent environ 1000 personnes et dont le prototype a été inauguré en septembre dans le désert de Gobi ( https://www.neimagazine.com/news/newschina-moves-forward-with-thorium-molten-salt-reactor-8919220 ), de même que par Terrapower soutenu par Bill Gates ainsi que la firme canadienne Terrestrial Energy), pour n’en nommer que quelques-uns. Mais dans cette course, la Chine fait figure de géant et les autres de Lilliputiens.

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    1. Je crois que l’avenir va donner raison aux Australiens. Leur objectif de 2030 est très proche, le prototype chinois sera encore à l’essai et il n’y aura pas encore de réacteur commercial. De plus, les réserves de thorium étant surtout en Inde, pays avec quiu la Chine entretient des relations tendues, je doute que les Chinois eux-mêmes se lancent à fond.

      L’autre enjeu, c’est que les renouvelables sont rendues beaucoup moins chères que le charbon, qui est lui-même moins cher que le nucléaire. Le projet australien est mené pat les producteurs d’électricité, qui visent d’abord leur propre rentabilité dans un délai raisonnable.

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      1. Les paris sont ouverts… Le prototype chinois améliore le réacteur développé et abandonné aux É.-U. en 1968 au profit de réacteurs à eau pressurisée utilisant l’Uranium 238 afin d’obtenir en sous-produit du Plutonium pour leur armement nucléaire. Depuis ce temps les difficultés liées à la corrosion ont été en grande partie solutionnées, de même que celles du retraitement des transuraniens. Par contre, le stockage sur batterie au Lithium demeure un enjeu loin d’être solutionné pour les ERN. Enfin les réserves de Thorium sont de 3 à 4 fois plus abondantes que celle de l’Uranium 238 dont à peine 0,5 à 1% contient l’Uranium 235 fissible utilisé par les centrales nucléaires de premières générations. Or la Chine dispose de gisements de Thorium :  » Cerise sur le gâteau, le thorium appartient à la célèbre famille des terres rares qui sont bien plus abondantes en Chine qu’ailleurs. Pékin pourrait ainsi accroître son indépendance énergétique par rapport aux grands pays exportateurs d’uranium comme le Canada ou l’Australie, deux pays avec lesquels la Chine n’entretient pas les meilleures relations diplomatiques.  » source: https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20210910-nucl%C3%A9aire-pourquoi-la-chine-veut-se-doter-d-un-r%C3%A9acteur-au-thorium

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  2. « Cerise sur le gâteau, le thorium appartient à la célèbre famille des terres rares »

    Non, pas du tout.

    De toutes façons, la filière reste spéculative et ne sera pas à maturité en 2030. Et, dans le meilleur des cas, il fut compter 20 ans avant un déploiement commercial conséquent. Le thorium est la voie royale vers l’échec de la transition.

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  3. Pierre-Alain Cotnoirdit > Il y a fort à parier que le rendement de centrales nucléaires au Thorium dissous dans du sel fondu (Thorium Molten Salt Reactor) serait une avenue plus prometteuse.

    Ça n’a pas de sens, surtout vu l’urgence climatique, de se lancer avec une techno encore en développement, alors que les réacteurs à uranium ont largement fait leurs preuves depuis des décennies.
    Au pire, si on a peur des contraintes sur l’uranium, demander à la Russie de construire un réacteur à neutrons rapides — puisque les politiciens français ont imposé la mort de ces réacteurs ici.

    https://www.laradioactivite.com/site/pages/BN_800.htm

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    1. Les réacteurs à sel fondu au thorium sont une technologie mise au point au cours des années 1960 aux É.-U. et abandonné parce qu’elle ne permettait pas de produire le plutonium nécessaire aux délires du complexe militaro-industriel américain. Je vous suggère la lecture de cette recension de près de 1000 articles scientifiques sur ce sujet effectuée par deux chercheurs dans un article publié en janvier 2021 et intitulé ‘Systematic Review:Thorium Molten Salt Reactor 2016-2020″. Source: https://www.researchgate.net/profile/Achmad-Wadjdi/publication/348841994_Systematic-Review-Thorium-Molten-Salt-Reactor-2016-2020pdf/data/6012b93d299bf1b33e2df9b3/Systematic-Review-Thorium-Molten-Salt-Reactor-2016-2020.pdf

      Selon moi, il faut développer les différentes filières de réacteur de 4e génération et opter pour celles offrant les meilleurs gages de fiabilité, de sécurité, d’approvisionnement et de facilité de construction. Bref en explorer l’une n’empêche pas d’en investiguer l’autre…

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  4. Comment peut on faire confiance à ce scénario après avoir vu Energiewende en Allemagne ? ils ont encore 80 GW de charbon, et fin (hypothétique) en 2038…

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