Émissions canadiennes de GES : les « deux solitudes »

Huit provinces canadiennes sur dix sont en bonne voie d’atteindre leurs engagements de l’accord de Copenhague, soit une réduction de 17 % en 2020 des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au niveau de 2005. Malheureusement, ces bons résultats sont annulés par deux provinces, l’Alberta et la Saskatchewan, dont la hausse des émissions est presque symétrique aux gains obtenus ailleurs. Résultat : le Canada va complètement rater sa cible.

L’accord de Copenhague, signé en 2009, a quelque peu été éclipsé par l’accord de Paris de 2015. Mais les engagements qui ont alors été pris tiennent toujours. On peut le décrire comme un prolongement de l’accord de Kyoto, où un ensemble de pays représentant 80 % des émissions mondiales se sont engagés à divers niveaux de réduction d’ici 2020 par rapport à diverses dates de référence. L’Union européenne, par exemple, avait promis de réduire ses émissions de 20 à 30 % par rapport à 1990. Au Canada, l’engagement portait sur une réduction de 17 % par rapport aux niveaux de 2005.

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On sait depuis longtemps que le Canada va rater sa cible. À un an de l’échéance de 2020, les réductions mesurées des émissions sont minimes par rapport à 2005. Les données les plus récentes, compilées par l’analyste Barry Saxifrage du National Observer, montrent toutefois que huit des dix provinces canadiennes, représentant 85 % de la population du pays ont réduit leurs émissions de 15 % et sont en voie d’atteindre leurs objectifs. Mais pendant ce temps, l’Alberta et la Saskatchewan ont augmenté leurs émissions, de sorte que globalement, le Canada n’a diminué ses émissions que de 2 % au lieu des 17 % de réduction prévus.

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La répartition par province montre que l’Ontario a consenti le plus gros effort, suivie d’assez loin par le Québec et les provinces maritimes. Des provinces comme Terre-Neuve et la Colombie-Britannique présentent un bilan presque neutre, sans doute parce que leur modeste industrie pétrolière et gazière a annulé les gains réalisés ailleurs dans l’économie. Le plus gros délinquant est de loin l’Alberta, qui a augmenté ses émissions de 42 millions de tonnes alors que l’Ontario les réduisait de 45 Mt.

Les données montrent donc un Canada coupé en deux, une sorte d’écho carboné des « deux solitudes » linguistiques canadiennes, mais sur une base territoriale différente. En 2005, l’Alberta et la Saskatchewan émettaient ensemble 299 Mt de CO2. Les données les plus récentes montrent que ces émissions ont bondi à 351 Mt. Le reste du Canada, pour sa part, a vu ses émissions glisser de 431 à 365 Mt.

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En 2017, les émissions de l’Alberta et la Saskatchewan représentaient 50 % du budget carbone prévu par l’accord de Copenhague. En 2020, cette part atteindra 58 %. Et en 2030, ces deux provinces accapareront à elles seules 69 % du budget carbone du Canada, tel qu’établi par l’accord de Paris. Et ce, au rythme actuel. L’Alberta et la Saskatchewan prévoient au contraire augmenter leur rythme de production pétrolière, ce qui amplifiera encore un peu plus la fracture.

On pourrait débattre de la pertinence des cibles de Copenhague et de Paris, qui semblent insuffisantes à plus d’un titre pour protéger le climat. Mais le problème, ici, est d’abord politique. Une situation où 85 % de la population fait des sacrifices pendant qu’une fraction se vautre dans les GES (et les redevances pétrolières) ne peut que créer des tensions. Ce sera certainement un enjeu important lors des élections fédérales de cet automne, où les conservateurs prévoient défendre les intérêts pétroliers de l’ouest du pays.

Cette situation est dangereuse à plus long terme aussi. Les citoyens du reste du pays pourraient un jour conclure qu’il est inutile de faire des efforts de réduction si ceux-ci sont sans cesse contredits et annulés par les décisions de l’Alberta et de la Saskatchewan. Ils seront sans doute aussi frustrés de voir le Canada sans cesse qualifié de « pays délinquant » alors qu’ils auront consenti des sacrifices équivalents à ceux des autres grands joueurs internationaux.

Source :

Barry Saxifrage, Surprise! Most of Canada is on track to hit our 2020 climate target

3 réflexions sur “Émissions canadiennes de GES : les « deux solitudes »”

  1. Pourquoi s’attarde-t-on sur les émissions de GES sur un territoire ? Si on se concentre exclusivement sur le climat, il faut employer l’empreinte carbone qui tient compte du niveau de consommation plutôt que de production, ce qui fait sens dans des régions qui tendent à délocaliser l’industrie polluante et à augmenter leur consommation matérielle.

    Et puis, on peut réduire ses émissions sans polluer moins pour autant : déchets, déforestation, urbanisation, pesticides, nuisances sonores… Je doute que les 85% des canadiens puissent se targuer de vivre de façon « durable ».

    Mais bon, au moins on voit bien une chose : le sable bitumineux est un excès injustifiable de l’industrie pétrolière. Cependant, le problème ce n’est pas l’excès, mais la normalité !

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  2. Juste une question de profane : la baisse des uns et la hausse des autres n’est pas juste lié à des effets de délocalisation de la production (électrique et autres) chez les autres (Alberta et de la Saskatchewan) expliquant le bilan global nul ?

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