On reproche souvent aux estimations de la production pétrolière de ne reposer que sur le volume de la production, en barils, plutôt que sur son contenu énergétique réel. Le détail a son importance, parce que le pétrole que l’on extrait de nos jours est de moins bonne qualité qu’avant. À quantité égale, un pétrole de très mauvaise qualité – comme le pétrole de schiste – peut fournir de 20 à 25 % moins d’énergie qu’un excellent brut. Une étude publiée ce mois-ci innove en montrant l’évolution récente et à venir de la production pétrolière américaine exprimée en contenu énergétique.
Ces travaux ont été effectués par le géologue pétrolier Jean Laherrère, qui a utilisé les données de l’agence américaine d’information sur l’énergie (EIA). Celle-ci publie depuis 1949 des résultats exprimés en énergie brute, parallèlement aux résultats exprimés en barils. Ces données sont exprimées en « quads ». Il s’agit de quadrillions (américains) de BTU (une unité thermique qui n’est plus utilisée en Europe). Un quad est une énorme quantité, qui équivaut à 1,06 exajoule, ou à 25 millions de tonnes d’équivalent pétrole.
Le premier tableau montre l’évolution de diverses sources d’énergie aux États-Unis depuis 1949. Les deux courbes les plus élevées montrent l’énergie primaire totale (avec et sans les énergies non fossiles), mais les plus intéressantes sont celles du milieu. On remarque le charbon (en noir) fait place au gaz naturel pendant les années 1960 et 1970, avant de reprendre les devants dans les années 1980. Le charbon ne perd sa prééminence qu’avec le boom du gaz/pétrole de schiste. On notera que le pétrole (en vert) connaît un long déclin après 1970, avant de connaître un rebond vers 2010.
Le second tableau montre en détail l’évolution de la production de pétrole depuis 1860. Elle connaît son pic en 1970, connaît un léger rebond en 1986 avec la mise en exploitation du pétrole de l’Alaska et connaît un déclin marqué ensuite. Le pétrole de schiste permet une reprise rapide après 2010. Le tableau montre ensuite les prévisions optimistes de l’EIA (en pointillé) et celles plus conservatrices de Jean Laherrère (ligne discontinue).
Le géologue pétrolier croit que la production pétrolière américaine de toutes sources (conventionnel, schiste, extralourd) sur toute sa durée, ne dépassera pas 2000 quads, l’équivalent de 350 milliards de barils de production ultime. Il calcule sur cette base que la production américaine oscillera autour de 15 quads en 2035, alors que les plus récentes estimations de l’EIA (AEO 2019) misent plutôt sur 30, soit le double. La courbe lilas marquée CP désigne la production cumulative. Le pic pourrait avoir lieu dès cette année, sinon très prochainement.
Le troisième tableau couvre la production gazière depuis 1900. On notera un pic vers 1970, suivi d’une longue période de stagnation. La croissance annuelle de la production est de 6 % entre 1910 et 1970, puis de 4 % après 2005, lorsque s’amorce la reprise de la production. L’EIA estime que cette croissance va se poursuivre à un rythme un peu plus lent jusqu’en 2050, pour atteindre 45 quads. Jean Laherrère mise sur une valeur ultime de 2750 quads et croit qu’à l’horizon 2050, la production ne sera plus que de 20 quads, contre près de 32 en ce moment.
Le quatrième tableau traite des « liquides de gaz naturel des usines », une catégorie englobant les composantes du gaz naturel qui se liquéfient spontanément soit à la sortie du puits, soit lors de leur séparation en usine, comme l’éthane, le propane et le butane. La production des NGPL est fortement corrélée à celle du gaz naturel. L’EIA s’attend à un plafonnement de la production vers 2030, tandis que Laherrère, sur la base d’un ultime de 400 quads, prévoit un pic dès 2022. La production annuelle en 2050 serait 7,65 quads selon l’EIA et de 3,1 seulement selon le géologue.
Le cinquième tableau propose une compilation des résultats relatifs au pétrole, au gaz et aux liquides de gaz naturel. L’EIA estime que la production pétrolière américaine atteindra 77 quads en 2050, tandis que Laherrère ne mise que sur 32 (contre près de 60 en ce moment). Ceci représenterait, selon l’expert, un retour aux conditions déprimées existant avant 2005 aux États-Unis.
Le sixième tableau exprime l’évolution des prix du pétrole et du gaz sous la forme d’un rapport entre les deux produits (ligne bleue). Il montre que le quad de pétrole se vendait près de sept fois plus cher que le quad de gaz en 1950, même s’ils fournissent la même quantité d’énergie. Ce rapport a diminué peu à peu, jusqu’à atteindre la parité (1 pour 1) au début des années 2000. L’explosion de la production de gaz de schiste a fait remonter ce rapport à 6:1 en 2012 et il se situe actuellement à 3:1. Les autres courbes montrent que le torchage du gaz augmente lorsque le cours de celui-ci est faible par rapport à celui du pétrole. Une partie de la production est donc gaspillée. Jean Laherrère croit que ces différences de prix élevées pour la même quantité d’énergie reflètent une offre surabondante et que le rapport reviendra peu à peu à 1:1.
En somme, l’évaluation de la production pétrolière en énergie brute plutôt qu’en volume ne change pas fondamentalement le tableau : la production pétrolière va plafonner plus ou moins bientôt (2050 même selon les projections optimistes de l’EIA). Au terme de l’exercice, Jean Laherrère croit cependant que les calculs en énergie sont plus précis et surtout, qu’ils donnent une idée plus véridique des quantités d’énergie fossile qui seront encore disponibles à l’avenir.
Source :
Jean Laherrère, US primary energy in quad, 3 mars 2019
Très intéressant. Le pétrole de schiste US continue d’augmenter en production, mais … les investissement faiblissent, pour la première fois alors que le dow et le pétrole augmentent. Signe avant coureur de l’explosion de cette bulle ? difficile à dire pour l’instant, mais c’est à surveiller de près.
Tout le reste dépends de ça selon moi.
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Art Berman s’attend à une plafonnement imminent de la production au bassin Permien. J’ai aussi appris que les marché des obligations pétrolières est déprimé depuis cet automne. Je ne sais pas s’il y aura implosion, mais la récente poussée de croissance touche sans doute à sa fin. Reste à voir si ce sont des ennuis passagers ou plus sérieux.
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Y aurait-il une coquille dans cette phrase? « Les autres courbes montrent que le torchage du gaz augmente lorsque le cours de celui-ci est faible par rapport à celui du gaz. »
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Bien vu. C’est par rapport à celui du pétrole, bien sûr. Je vais corriger. Merci.
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En passant, j’adore vous lire 🙂
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