L’EROI, à manipuler avec précaution

Beaucoup de discussions sur l’énergie font appel au concept de taux de retour énergétique (TRE), aussi connu sous ses abréviations anglaises d’EROEI ou d’EROI. Mais en dépit de son apparente simplicité, le TRE doit être manipulé avec prudence, surtout lorsqu’il s’agit de comparer des sources d’énergie se présentant sous des formes différentes ou exigeant une transformation ultérieure. Le pétrole brut, par exemple, n’est pas utilisable tel quel, contrairement à l’électricité issue d’un panneau solaire.

Le TRE se présente sous la forme d’un rapport entre l’énergie produite et l’énergie utilisée pour la produire dans le cadre d’un système énergétique donné. Plus ce rapport est élevé, plus ce système produit une énergie « nette » c’est-à-dire un surplus utilisable par l’industrie ou la population. Mais attention : le concept a le défaut de refléter non seulement l’efficacité d’une technologie énergétique donnée, mais aussi la nature des transformations nécessaires pour rendre cette énergie utilisable. Le charbon, par exemple, est très efficace pour produire de la chaleur, mais beaucoup moins pour produire de l’électricité.

Marco Raugei, de l’Université d’Oxford Brookes, en Angleterre, s’attaque à cet enjeu dans un article publié dans la revue Nature de février 2019. S’inspirant des travaux les plus récents de Charles A. S. Hall, inventeur du concept de TRE, il montre que cette mesure compare trop souvent des pommes et des oranges et que les chercheurs devraient l’utiliser avec plus de précaution.

Traditionnellement, le TRE est mesuré au point d’extraction : la mine, la tête de puits, la sortie électrique d’un panneau solaire, etc. On parle alors d’un TRE « standard », désigné comme EROIst dans la littérature scientifique. Cette mesure est utile pour comparer, par exemple, le rendement de deux champs pétroliers. Mais elle l’est moins pour comparer leur utilité à diverses étapes de la chaîne d’approvisionnement (le pétrole brut n’est pas utilisable) ou lorsque le carburant est transformé en un autre vecteur énergétique, comme l’électricité. Il devient alors plus intéressant de parler du TRE au point d’utilisation, noté EROIpou (point of use).

Quel est le véritable TRE des carburants fossiles?

La différence entre EROIst et EROIpou peut être considérable. Dans le cas du pétrole, le brut doit être raffiné, ce qui consomme à peu près 10 % de sa valeur énergétique. Sa transformation en électricité, le cas échéant, entraîne des pertes encore plus importantes. Puisant dans des études de cas récentes, Raugei en arrive aux chiffres suivants :

Zone étudiée

EROIst

EROIpou

Colombie (2015)

25

8

Chili (2018)

24

6,2

Californie (1950)

100+

6,5

La cas de la Californie est intéressant. Il montre que même à l’époque où le TRE au point d’extraction était à son sommet, le facteur le plus crucial pour l’énergie nette disponible à la société demeurait le coût énergétique du raffinage. Les chiffres pour le charbon sont également intéressants. Cette fois, c’est surtout la manutention et le transport de cette matière pondéreuse qui explique le gouffre entre EROIst et EROIpou.

Zone étudiée

EROIst

EROIpou

Royaume-Uni

11 à 27

<4

Indonésie (2017)

26 à 42

<10

Chili (2018)

20 à 65

7

Une centrale thermique est un point d’utilisation comme un autre. Lorsqu’on calcule le TRE de la production électrique, il faut donc multiplier le EROIpou par le rendement du procédé thermique. Raugei estime qu’environ 37 % de l’énergie présente dans le pétrole est convertie en électricité, ce qui signifie que le TRE de l’électricité basée sur le pétrole est de 2 ou 3 à peine.

On comprend dans ce contexte que les TRE relativement bas attribués aux énergies renouvelables (souvent de 8 à 15) sont trompeurs, puisqu’il s’agit dans ce cas d’une énergie sous sa forme finale, souvent utilisable telle quelle et presque sans perte au point d’utilisation dans les systèmes électriques actuels où il se fait peu de gestion de l’intermittence par du stockage.

EROEI pétrole chinois
Tableau extrait de Jingxuan Feng, Analysis of Point-of-Use Energy Return on Investment and Net Energy Yields from China’s Conventional Fossil Fuels, Energies 2018, 11, 313; doi:10.3390/en11020313

Conséquences

Raugei en conclut que les comparaisons entre les TRE de diverses chaînes d’approvisionnement doivent être prises avec un sérieux grain de sel. Il y a souvent une énorme différence entre le TRE au point d’extraction et celui au point d’utilisation et il serait préférable de calculer le TRE de l’énergie livrée sous sa forme finale au consommateur ou à l’industrie, surtout lorsque l’on compare des énergies thermiques et électriques, où la différence est considérable.

Le chercheur s’attaque aussi aux estimations du TRE minimal jugé nécessaire pour le fonctionnement d’un pays moderne, dont il juge les fondements fragiles. Un premier problème, c’est qu’on ne sait pas exactement ce que signifie le TRE moyen d’une nation, surtout quand il mélange les TRE de vecteurs énergétiques si hétérogènes. Le TRE des carburants fossiles, par exemple, varie énormément selon qu’ils sont destinés à des moteurs thermiques ou électriques.

Le second problème, c’est que les seuils minimaux de TRE élevés jugés nécessaires pour maintenir la civilisation ont été calculés à une époque où les principales sources d’énergie (fossiles) subissaient d’énormes pertes de raffinage, de transport ou de conversion en électricité. Dans une société du futur où toute l’énergie serait directement produite sous forme électrique, les pertes seraient grandement réduites, tout comme le TRE minimal nécessaire au fonctionnement d’une telle société.

Marco Raugei invite pour finir les chercheurs à mieux préciser la portée de leurs études sur le TRE en fonction de divers scénarios d’utilisation. Dans le cas du pétrole, par exemple, on devrait fournir des TRE différents selon qu’il est destiné au transport, ou à la production d’électricité. Ceci permettrait une comparaison plus équitable avec d’autres sources d’énergie présentant des profils de perte différents.

Source :

Marco Raugei, Net energy analysis must not compare apples and oranges

 

10 réflexions sur “L’EROI, à manipuler avec précaution”

  1. Ha quand même ! il était temps que la recherche s’y attelle.
    J’avais lu ce blog http://bountifulenergy.blogspot.com/ qui parlait déjà des problèmes de l’EROEI … et qui mettait toutes les théories basées dessus un peu en l’air.
    Ce qui compte ce n’est pas le rendement à la tête du puits, mais l’exergie. Du coup toute la littérature scientifique sur cette question était quasi-inutile.
    Je sui ravi qu’un chercheur ai levé le lièvre. Espérons que ça débouche sur d’autres fructueux travaux.
    Merci d’avoir relayé cet article.

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    1. http://bountifulenergy.blogspot.com > « The levelized price of electricity for solar PV is $0.05/kwh (as per Lazard). »

      Comme beaucoup, cet article mélange lui aussi des pommes et des oranges : que ce soit à cause de…

      – la surface en m² beaucoup plus importante pour obtenir la même puissance installée
      – le réseau à étendre pour connecter tous ces panneaux PV et éolienne au réseau
      – l’obligation de les combiner à des centrales à gaz (énergie fossile !)
      – centrales à gaz au coût plus important que d’habitude puisqu’elles sont sous-utilisées (mais les coûts fixes restent les mêmes) et que les arrêts-redémarrages les usent prématurément
      – les panneaux PV et les éoliennes ont une durée de vie plus courte qu’une centrale thermique ou un barrage (20 vs. 50-100 ans)

      … le vrai coût de cette électricité intermittente et imprévisible est en fait nettement plus élevé, et nous maintient dans les énergies fossiles (où nous y fait revenir, pour des pays comme la France ou la Suède qui ont une électricité très peu carbonée).

      Bref, it’s complicated 🙂

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      1. Parlant de mélanger des pommes et des oranges, je vous signale qu’il est question de rendement énergétique, pas de coût – c’est une autre question. Les coûts que vous signalez sont vrais, mais n’ont pas un impact aussi énorme que vous semblez le croire. Par exemple, la puissance de réserve au gaz existe aussi quand le gaz est la principale source d’énergie, donc la réserve au gaz pour le renouvelable n’est pas une dépenses supplémentaire.

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      1. Il y a bien un problème avec la figure 5, il n’y a pas de lien cliquable, la légende ne correspond en rien aux données affichées, les années ne correspondent pas.

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  2. Un autre aspect important est le ratio de puissance Pout/Pin. L’air dans une pièce peut-être d’un volume considérable mais tentez de respirer à travers un trou d’épingle et vous étoufferez: la quantité est disponible mais le débit est insuffisant. Une question hypothétique qui révèle cette contrainte est la suivante: peut-on ‘bootstraper’ une usine de production de panneaux PV isolée dans le désert sans apport d’énergie autre que le solaire?

    Je n’ai vu cette grandeur discutée qu’en une seule publication… et je ne la retrouve plus! (était-ce Science and Energy Seminar at Ecole de Physique des Houches ?)

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