Comprendre le Green New Deal

Pourquoi le Green New Deal déchaîne-t-il tant de passions aux États-Unis? Cette résolution de 14 pages, présentée au Congrès américain le 7 février dernier par la représentante Alexandria Ocasio-Cortez et le sénateur Ed Markey, propose de profonds changements aux principes guidant l’action du gouvernement fédéral américain. Cette analyse montre que si la dimension écologique du document est assez convenue, la partie politique est une véritable bombe, qui s’attaque de front aux acquis de 40 ans de gouvernance néolibérale.

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Avant de parler du contenu du Green New Deal, et en particulier des mesures environnementales qu’il propose, il importe de bien comprendre les visées du document, qui est d’abord un manifeste politique. Il s’inspire du New Deal, un ensemble de mesures sociales qui a permis aux États-Unis de surmonter la crise de 1929, et de la planification industrielle mise en place pendant la Deuxième Guerre mondiale.

  • Le Green New Deal ne propose pas de mesures précises et opérationnalisables. C’est un énoncé de principes de base, présenté sous la forme d’un projet de loi, qui doit fonder à l’avenir l’action du gouvernement fédéral américain. Ses auteurs comprennent que si la proposition était adoptée, il faudrait ensuite un énorme travail pour traduire ces principes en mesures concrètes (lois, politiques, etc.).

  • Les mesures environnementales proposées sont très convenues : capitalisme vert, transition énergétique, agriculture durable… C’est le programme auxquelles les ONG vertes nous ont habitués, technophile, un peu trop optimiste et ne remettant pas en cause les fondements du système. Par contre, elles forment la base du manifeste, pas une simple arrière-pensée.

  • La partie politique est la plus intéressante. Pour ses auteurs, le salut passe entièrement par des mesures gouvernementales délibérées plutôt que par le jeu des forces du marché. Ceci s’oppose de manière directe et décomplexée aux préceptes du néolibéralisme, qui clament que seules des entreprises libérées de toute contrainte sont en mesure de jouer un rôle efficace. Par ailleurs, le Green New Deal affirme avec force le besoin pour plus d’équité et de justice sociale. Il prévoit des programmes sociaux universels et des transferts d’argent aux populations les plus pauvres.

Ces principes ne sont pas nouveaux, mais le fait qu’ils soient présentés et endossés par des politiciens de premier plan montre que les forces politiques sont en train de se réaligner aux États-Unis. Il y a trois ans, Bernie Sanders faisait figure de marginal en défendant des principes similaires. Aujourd’hui, ces idées sont au cœur du débat politique américain. Les politiciens conservateurs ne s’y sont pas trompés et mènent des attaques d’une violence inouïe contre le Green New Deal.

Mesures environnementales

Les mesures environnementales proposées sont relativement convenues. Elles vont réjouir la composante la plus consensuelle du mouvement écologique et en particulier les grandes ONG vertes, mais une approche plus critique notera leur côté très technophile et l’idée que la transition énergétique est possible facilement et dans de très courts délais. La croissance massive de l’industrie est présentée comme une solution et presque toutes les propositions sont émises « dans la mesure où c’est technologiquement faisable », ce qui signifie qu’on ne vise pas les usages. Les principales mesures :

  • En arriver, d’ici 2050, à un niveau neutre d’émissions de CO2 – ce qui veut dire que les émissions qui subsisteraient seraient compensées par des mesures de séquestration du carbone atmosphérique.

  • L’énergie devrait être fournie à 100 % par des renouvelables à émission zéro et des réseaux électriques intelligents.

  • Mise à niveau de tous les immeubles du pays pour maximiser leur efficacité énergétique.

  • Développement massif de l’industrie « propre » et décarbonisation du reste.

  • Agriculture familiale durable, améliorant la qualité du sol et la qualité des aliments et réduisant les émissions de GES.

  • Élimination des émissions liées au secteur du transport « dans la mesure du possible », notamment à l’aide de véhicules zéro émission et par les transports en commun.

  • Séquestion du carbone « par des moyens low tech reconnus », notamment le reboisement.

  • Restauration des écosystèmes endommagés.

Mesures politiques

Leur portée est extrêmement large :

  • Financement fédéral des entreprises travaillant dans le sens du Green New Deal (subventions).

  • Révision des lois pour qu’elles tiennent compte de tous les coûts sociaux et environnementaux et respectent les principes du Green New Deal.

  • Apport de ressources et de formation (y compris universitaire) pour que toutes les communautés, même les plus marginalisées, aient les moyens de faire leur part.

  • Investissement fédéral dans le développement de nouvelles technologies propres.

  • Planification de l’économie de manière à revitaliser les économies régionales.

  • Accent sur la démocratie locale dans la prise de décision.

  • Création d’emplois syndiqués bien rémunérés et mesures favorisant la syndicalisation.

  • Meilleure protection des terres publiques contre les visées minières et industrielles.

  • Système de santé universel, sécurité économique des citoyens et accès garanti à l’eau potable.

Dans sa forme actuelle, le Green New Deal paraît très utopique. Comme d’autres plans de ce genre auparavant, il doit apporter une nouvelle prospérité, qui permettra de dégager les ressources nécessaires à sa mise en place. Bien que cela puisse sembler naïf, les éléments conservateurs de la classe politique américaine ont bien compris qu’une telle proposition aurait été politiquement irrecevable il y a deux ans à peine et que sa simple existence indique que l’ordre néolibéral perd rapidement sa légitimité. D’où les attaques virulentes qui ont été portées contre la proposition.

Du point de vue environnemental, on pourra soutenir que la partie environnementale du plan repose largement sur de grandes quantités de peinture verte. Mais il demeure que la part énorme qu’occupe l’environnement dans cet important projet politique montre que l’écologie marque des points même dans l’Amérique apparemment hostile du président Trump. L’évolution de ce dossier sera passionnante à observer.

Source :

RESOLUTION Recognizing the duty of the Federal Government to create a Green New Deal

 

3 réflexions sur “Comprendre le Green New Deal”

  1. Le New Deal n’a jamais permis aux américains de se sortir de la crise de 29. C’est un mythe. Les USA se sont sortis le bec de l’eau grâce à la guerre en Europe.
    Le Green New Deal est en réalité une bénédiction pour les Républicains. En portant ce projet radical, Ocasio-Cortez divise complètement le camp démocrate au profit de Trump. Raison pour laquelle on a vu dernièrement des personnalités comme Steve Bannon feindre l’inquiétude face à la jeune femme. Ils la considèrent comme une idiote utile.

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    1. Le New Deal a avait déjà commencé à faire effet lorsque la guerre a commencé. Et il a certainement facilité la mobilisation militaire après 1941. Il faut comparer la situation à celle de la France de 1936-1939, où un climat syndical et industriel difficile a miné l’industrie militaire.

      Pour le moment, il ne s’agit pas de savoir si le GND peut remporter les élections, mais de constater combien il dénote un réalignement profond et rapide des forces politiques en présence.

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      1. Vous pouvez mégoter autant que vous le souhaitez, ça ne changera rien au fait que le New Deal n’a absolument pas permis à l’économie américaine de se remettre d’aplomb après la crise de 29 🙂
        Effectivement, il n’est pas question de savoir si le GND peut remporter des élections puisque la réponse est déjà limpide: c’est non. La question est de savoir s’il peut enfoncer encore un peu plus le parti démocrate et la réponse est clairement oui (ce qui fait d’Ocasio-Cortez une alliée objective de Trump).

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