Le plastique, avenir de l’industrie pétrolière

Vous pensez que la transition énergétique sonnera bientôt le glas du pétrole? Peu probable. L’industrie pétrolière a déjà une stratégie de défense parfaitement au point, qui consiste à stimuler la production de plastique pour maintenir et faire croître la consommation mondiale d’hydrocarbures. Aux États-Unis seulement, les investissements pétrochimiques ont atteint 185 milliards de dollars ces dernières années. Des masses de plastique s’apprêtent à déferler sur la planète.

World plastics prod
Production mondiale et européenne de plastique depuis 1950. (Source : Statista)

La consommation de plastique a près de doublé depuis 2000. Cette tendance va se maintenir, selon l’Agence internationale de l’énergie. Elle estime que la pétrochimie – dont les plastiques sont une part importante – va représenter le tiers de la croissance de la demande pétrolière d’ici 2030 et près de la moitié de celle d’ici 2050, ce qui représenterait l’équivalent de 7 millions de barils par jour de nouvelle demande. Le gaz naturel n’est pas en reste : la demande additionnelle de l’industrie pétrochimique pourrait atteindre 83 milliards de mètres cubes en 2050.

L’industrie pétrolière se prépare à une explosion de la production de plastique dans les prochaines décennies. ExxonMobil estime que l’une des composantes du pétrole, le naphta, sera principalement utilisée en pétrochimie d’ici 2040. Autrement dit, l’essence économisée par les véhicules électriques sera entièrement réorientée vers la production de plastique, sans le moindre impact sur les activités d’extraction.

Des investissements massifs

En ce moment, de 4 à 8 % du pétrole mondial sert à la production de plastique. On estime qu’au rythme actuel, cette part pourrait atteindre 20 % en 2050. Mais cette donnée masque d’importantes variations régionales. En Europe et en Asie, par exemple, le plastique est majoritairement dérivé du pétrole. La distillation du pétrole donne de 15 à 35 % de naphta. Cet hydrocarbure entre dans la composition de l’essence, mais aussi dans celle de l’éthylène et du propylène, des produits de base pour la fabrication du plastique. Le coût élevé du pétrole nuit toutefois à cette filière.

En Amérique du Nord et au Moyen-Orient, c’est plutôt le gaz naturel qui sert de matière première. Celui-ci se compose surtout de méthane, mais aussi d’une quantité d’hydrocarbures un peu plus denses, comme l’éthane, le propane et le butane (les « liquides de gaz naturel ») que l’on sépare à l’intention de l’industrie pétrochimique. En plus du gaz naturel, le pétrole de schiste contient aussi des liquides de gaz naturel. Résultat : le marché américain est inondé d’hydrocarbures bon marché, pour lesquels le plastique est le principal débouché.

Petrochemistry investments

L’industrie pétrochimique nord-américaine n’a pas tardé à comprendre l’avantage concurrentiel massif que lui procuraient ces intrants peu coûteux. A la fin de 2017, l’industrie pétrochimique américaine avait déjà investi 185 milliards $ dans la chimie et les plastiques. La production américaine d’éthylène et de propylène devrait augmenter d’un tiers entre 2016 et 2025. Celle de polyéthylène pourrait augmenter de 75 % d’ici 2022.

La Chine se prépare pour sa part à investir plus de 100 milliards dans ce domaine d’ici cinq ans. Détail intéressant, elle cherche à réduire sa dépendance au pétrole importé en produisant du plastique à partir de charbon. Le procédé, qui transforme le charbon en éthylène et en propylène, est fortement émetteur de CO2. Il revient également plus cher que les procédés à partir de pétrole ou de gaz, mais la ressource est localement abondante et réduit la dépendance du pays envers les importations.

Les enjeux sont donc posés. L’industrie utilisera le plastique comme débouché de substitution aux carburants automobiles. Mais qui consommera ces énormes masses de plastique? Les projets de l’industrie pourraient se heurter aux efforts mondiaux pour en réduire l’utilisation. Par contre, le plastique semble en voie de devenir si bon marché que son recyclage ne se justifiera plus au niveau économique. Il est difficile de prévoir comment ce dossier évoluera.

Source :

CIEL, Untested Assumptions and Unanswered Questions in the Plastics Boom https://www.ciel.org/wp-content/uploads/2018/04/Fueling-Plastics-Untested-Assumptions-and-Unanswered-Questions-in-the-Plastics-Boom.pdf

17 réflexions sur “Le plastique, avenir de l’industrie pétrolière”

  1. Il semble y avoir de la place pour tout ce plastique pour les marchés en émergence, Chine, Inde et Afrique … cela ne va pas arranger l’état de notre planète.

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  2. Entre votre analyse vue d’en haut et la mienne vue d’en bas, il y a corrélation, samedi chez Décathlon en France je cherchais une paire de chaussure en cuir comme les précédentes achetées au même magasin, toutefois aucun des modèles présentés n’étaient en peau de bête, toutes faites de la chimie du pétrole !

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    1. Et les vestes en Gore-Tex des concurrents de Decat ? Elles sont en peaux de bête ? Car à part les chaussures, quel est l’équipement outdoor, decat ou pas, qui est encore en peau ?

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  3. Merci pour ce post intéressant. Suggestion: vous devriez corriger l’axe des abscisses de la 1re figure, c’est très trompeur on croit que le taux de croissance de la production de plastique est en baisse par rapport aux années 50-80.

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  4. J’ai personnellement du mal à croire à ce scénario, étant données les contraintes sur les usages énergétiques du pétrole d’ici 2025 et le pic pétrolier tous pétroles (même l’AIE l’annonce mais sans vraiment alerter…). Le plastique me parait bien plus facilement substituable ou supprimable que de l’essence ou du kérosène… Non?

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    1. Ce texte vous montre la perception de l’industrie pétrolière. Comme toutes les projections de ce genre, elle ne tient absolument pas compte des enjeux de déplétion pétrolière et là-dessus, je vous donne raison. Mais l’intérêt de ceci est surtout que cela contredit l’idée courante ces jours-ci selon laquelle il y aura un pic de la demande bien avant un pic de production. Je n’y crois pas du tout.

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  5. Le debut de votre article est de la fake news. Non l’industrie pétrolière n’a pas une strategie de defense.
    L’industrie petroliere analyse les marchés et le marché du plastique montre une demande forte sur 2 decennies donc l’industrie petroliere investit actuellement massivement pour repondre a cette demande avec des unités de craquage du naphta et de conversion en PE, PP. Investissements de milliards de $ qui necessite entre 3 et 5 ans mini d’etude-construction. on peut trouver cela triste mais sauf action politique, c’est une simple réponse offre-demande. Cela n’a rien a voir avec la baisse potentielle du marché de l’essence…baisse somme toute très limitée (2 a 5% max en 2030) au niveau mondial dans toutes les projections car n’oublions pas que la plupart des pays (Inde, Afrique, Russie, amerique centrale et du Sud) sont en croissance automobile sans aucune alternative possible (voiture electrique ou autre).

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    1. Je vous donne raison au niveau des faits, mais cette interprétation de l’investissement pétrochimique comme mesure défensive est assez répandue et semble correspondre à l’idée que l’industrie s’en fait elle-même. L’Agence internationale de l’énergie l’a aussi reprise à son compte lors de quelques communications en octobre dernier.

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  6. Bonjour,
    Il y a quelque chose qui m’échappe. Dans un précédent billet de blog vous disiez que l’industrie du pétrole de schiste accumulait beaucoup de dettes et était menacé sur le court/moyen terme. Mais en lisant ce dernier article j’ai l’impression que les produits dérivés du pétrole de schiste pour faire des produits plastique était très intéressant financièrement.

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    1. C’est bien observé. Il faut toutefois comprendre que le malheur des entreprises qui pompent le pétrole (les bas prix) peuvent faire le bonheur de ceux qui profitent ensuite d’une matière première bon marché. L’industrie pétrolière comporte un grand nombre d’acteurs, dont les intérêts ne sont pas tous convergents,

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      1. Ok pour le fait que les objectifs de certains agents soient contradictoires, l’industrie du pétrole n’est pas un objet monolitihique. Mais du coup je comprends pas votre prévision d’un déferlement de plastique (issu du pétrole de schiste) sur le monde sachant que la filière de pétrole de schiste risque de’imploser sous le poids de ses propres dettes.

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  7. Les prédictions de l’AIE …
    Qui y croit encore ? Demandez à Elizabeth Teissier ce qu’elle en pense !!

    On est vraiment dans ce que Taleb appelle un raisonnement de dinde de Noël.

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  8. Le précieux gaz de schiste. a la différence du gaz naturel il contient davantage d’ETHANE Qui peut être séparé et transformé en ETHYLENE ouvrant la voie a une chimie spécifique . L’éthylène est connu pour être à la base du plastique polyéthylène et de l’oxyde d’éthylène . Ce dernier est employé pour les détergents synthétique avec des parties polyoxyethylènique, (souvent indique PExx avec xx nombre motif [O-CH2-CH2-O]) pour les polyols des résines polyuréthane pour les principaux débouchés. Plusieurs pays étrangers comme aussi les américains ont investis MASSIVEMENT pour exploiter le précieux éthane de gaz de schiste sur place Des usines géantes de polyéthylène et d’oxyde d’éthylène ont été construites. Usine géante= production de 1 500 000 tonnes/an
    Le méthane est trés difficilement converti en ethylène.

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