Le déclin annoncé du nucléaire européen

Dans le meilleur des cas, la capacité installée des réacteurs nucléaires d’Europe occidentale aura diminué du tiers en 2035. Dans le scénario du pire, la chute atteindra près de 85 %. Ce déclin sera un peu moins marqué en France, mais n’échappera pas à la tendance générale. Ce sont là les conclusions d’un mémoire de maîtrise déposé cet été à l’Institut de physiques des particules de Zürich par Ludovic Touzé-Peiffer. Si l’Europe souhaite ralentir cette tendance, elle doit se décider très bientôt, ajoute le chercheur.

Evolution, Europe

Ludovic Touzé-Peiffer commence sa démonstration en décrivant le parc nucléaire actuel. À la fin de 2016, il y avait exactement 100 réacteurs nucléaires commerciaux en activité en France et dans les six pays limitrophes, pour une capacité installée totale de 99,2 GW. Il s’agit d’un parc vieillissant : l’âge moyen des réacteurs est de 34 ans et 89 % d’entre eux auront dépassé la barre des 40 ans d’ici 2030. Dans les sept pays concernés, un seul réacteur est en construction (Flamanville, en France).

Age des réacteurs

Les réacteurs ont été conçus en fonction d’une durée de vie utile de 40 ans. Il est possible que les autorités autorisent l’exploitation de certains d’entre eux au-delà de ce terme, mais le chercheur, qui consacre la première partie de son mémoire aux mécanismes de vieillissement des cuves des réacteurs, estime toutefois qu’une durée de vie de plus de 50 ans est peu probable.

Les pays limitrophes

L’étude dresse ensuite un rapide bilan des six puissances nucléaires limitrophes à la France.

  • La Belgique a sept centrales d’une puissance installée totale de 5,9 GW. Le pays a décidé de les fermer toutes d’ici 2025. Les deux plus récentes auront alors 40 ans.
  • L’Allemagne conserve huit centrales d’une capacité totale de 10,8 GW. Leur retrait progressif a été annoncé en 2011 et devrait être complété en 2022.
  • L’Italie n’a plus de centrale nucléaire depuis 1990 et n’a pas l’intention d’en construire.
  • L’Espagne a sept centrales, d’une capacité totale de 7,1 GW. Le pays permet aux exploitants de demander une prolongation de 10 ans de leur permis d’exploitation, pour porter la durée de vie des installations à 50 ans. Même si toutes ces demandes sont acceptées, la moitié de la capacité nucléaire espagnole aura disparu en 2035. Il n’existe pas de projet de nouvelles constructions.
  • La Suisse a cinq centrales d’une capacité totale de 3,3 GW. En 2017, le gouvernement a décidé de ne plus en construire de nouvelles et de retirer celles qui existent au terme de leur vie utile. La dernière centrale suisse devrait fermer ses portes vers 2034.
  • La Grande-Bretagne possède 15 centrales, d’une capacité totale de 8,9 GW. La plupart sont âgées et devraient fermer vers 2023-2025. La plus récente pourrait rester en service jusqu’en 2035. Le pays envisage de remplacer sa flotte en tout ou en partie, mais ses intentions ne sont pas claires pour le moment : selon les scénarios, on pourrait ajouter une capacité de 3,3 à 14,5 GW d’ici 2035, mais rien n’est encore confirmé.

Age réacteurs français

La situation en France

En 2017, la France avait 58 réacteurs d’une capacité totale de 63,1 GW. Ce parc a fourni 76,3 % de la production électrique totale du pays. De ces 58 réacteurs, quatre ont déjà plus de 40 ans et 44 ont entre 30 et 40 ans. L’autorité de sûreté nucléaire doit décider s’il prolonge la vie de ces réacteurs à 50 ans, mais rien n’est confirmé encore. Un seul réacteur est en construction, à Flamanville. Il doit entrer en service en 2019 s’il n’y a pas de nouveaux délais.

Scenarios France

Le chercheur évalue ensuite quatre scénarios, selon que la durée de vie est limitée à 49 ou à 50 ans ou qu’on ajoute ou non 10 GW de nouvelle capacité d’ici 2035. Si on limite la durée de vie des centrales à 40 ans sans en construire de nouvelles, le parc nucléaire français aura perdu près de 80 % de sa capacité dès 2035. Dans le scénario le plus favorable, le parc perd tout de même plus de 25 % de sa capacité.

Éviter le déclin du parc nucléaire?

L’avenir de l’énergie nucléaire en Europe occidentale repose donc sur deux pays seulement, qui hésitent de surcroît à s’engager pour l’avenir. De plus, le temps commence à manquer. Une étude des 451 réacteurs en activité dans le monde montre que leur construction a pris 7,5 années en moyenne. Mais les deux projets courants du seul constructeur européen de centrales nucléaires encore en activité, Areva NP, sont beaucoup plus lents. S’il n’y a pas de nouveaux délais, la construction de la centrale de Olkiluoto, en Finlande, prendra 14 ans (de 2005 à 2019). Celle de Flamanville, 11 ans. Il est donc trop tard pour remplacer la portion du parc qui sera fermée en 2025 et l’horizon 2035 apparaît très proche.

Délais de construction

Le chercheur rappelle que le déclin du parc nucléaire menace l’approvisionnement électrique de toute l’Europe occidentale en raison des ventes d’électricité entre pays. Il s’interroge aussi sur les solutions les plus rapides pour remplacer la capacité perdue. Entre l’augmentation des capacités de transport transfrontalier, les parcs d’éoliennes, les centrales au gaz et les parcs photovoltaïques, la dernière option est de loin la plus rapide (quatre ans, contre plus de dix pour une centrale nucléaire). L’indécision actuelle en matière d’énergie pourrait mener à adopter les solutions les plus expéditives.

 

Source :

Ludovic Touzé-Peiffer, Ageing of Pressurized Water Reactors : From causes of ageing to consequences on the electricity system in Western Europe, Thèse de maîtrise, ETH Zürich, juillet 2018.

thesis_Ludovic_TOUZE_Peiffer

 

7 réflexions sur “Le déclin annoncé du nucléaire européen”

  1. Les centrales au gaz semblent tenir la corde: faciles à construire et pilotables, elles risquent de remplacer la production nucléaire et ce faisant rendre l’Europe encore plus dépendante du gaz russe. C’est toujours moins polluant que le charbon cela dit.

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  2. Aucun mot sur le démantèlement et la gestion des déchets qui sont un vrai cauchemar ?
    C’est bien joli de faire des centrales, de prétendre vendre de l’électricité à bas coût, mais la, on va devoir payer la vraie facture avec les arriérés et ça va faire mal, surtout en France.
    Alors repartir pour un tour ? non merci pour ma part.

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    1. Pourquoi démanteler alors qu’on peut tout aussi bien laisser les installations en place ad eternum?
      A comparer au démantèlement d’une éolienne terrestre (socle en bèton) en terme de surface occupée et de puissance délivrée en GW.
      L’espace perdu est insignifiant et on peut en construire une nouvelle juste à côté.

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      1. De un,. je ne suis pas certain que les propriétaires des terrains, souvent des agriculteurs, seront heureux de perdre la jouissance d’une partie de leur bien ad aeternam sans compensation. De deux, ces gros blocs de béton peuvent un effet sur la circulation des eaux souterraines et sur la chimie des sols.

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      2. « Ad eternum » est peut-être slightly too much… Cela dit, même sans aller aussi loin, la question est bonne, tout en sachant que le « politiquement correct » est aujourd’hui le « démantèlement immédiat ». Que la collectivité veut-elle construire à la place d’un réacteur qu’on aurait démantelé « jusqu’à l’herbe »? Est-ce une autre installation de grande taille pour produire de l’électricité et utiliser les lignes THT ? N’a-t-on pas la place à côté? Le gardiennage ne coûte pas cher une fois exfiltrés les composants les plus actifs. Est-ce une école ?

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  3. L’hypothèse selon laquelle peu de réacteurs français dépasseront les 50 ans est peu crédible… parce que la France n’a tout simplement pas le choix :

    Le pays refuse, pour des raisons écologiques comme géopolitiques, de construire de nouvelles centrales électriques fossiles (donc pas de gaz et de charbon). Or il a besoin de capacités pilotables pour assurer l’équilibre offre/demande durant ses pics de consommation (qui en France ont lieu le soir en hiver). Le potentiel hydroélectrique est déjà globalement équipé, ne reste donc que la biomasse (dont le potentiel est assez limité en France) et le nucléaire.

    Les nouvelles tranches nucléaires prennent environ 10 ans à être construites, les écologistes français sont antinucléaires et participent généralement aux majorités parlementaires de gauche ou du centre.

    Donc la France ne décidera pas la construction d’une flotte de nouveaux réacteurs avant pas mal d’années. Donc elle devra faire durer la plupart de ses réacteurs jusqu’à au moins 60 ans et, en dehors des deux réacteurs de Fessenheim, n’arrêtera probablement les premiers réacteurs qu’à 50 ans minimum. Et en plus, c’est de loin la solution la moins chère à une époque où l’argent se fait rare.

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    1. Je suis d’accord avec vous pour dire que d’un point de vue financier, la France a avantage à retarder les mises en chantier de nouveaux réacteurs, qui seront très coûteux. L’EIA américaine estime que les réacteurs de technologie récente seront trois fois plus coûteux que ceux qu’ils remplaceront. Là où je très très sceptique, toutefois. c’est face à cette idée qu’un réacteur de 60 ans serait presque aussi sûr qu’un neuf. Que se passera-t-il si l’autorité de sécurité nucléaire commence à fermer des réacteurs ou à exiger des rénovations? Le plan consistant à «faire durer» comporte sa part de risques, non seulement en termes de possibles accidents, mais aussi en termes de sécurité de l’approvisionnement.

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