La « bombe méthane », un pétard mouillé

En dépit de toute la publicité qu’elle a reçue, l’idée d’un emballement incontrôlé du réchauffement climatique provoqué par des émissions de méthane arctique n’est pas considérée comme une menace concrète par la grande majorité des climatologues. Cette thèse alarmiste émane d’une poignée de chercheurs dont les travaux sont très critiqués. Survol des raisons militant contre l’idée d’un dégazage massif et rapide du méthane arctique – la soi-disant « bombe méthane ».

D’abord, il faut établir quelques faits. Il est vrai que le méthane est un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 sur un horizon de 20 ans. Mais attention : ce n’est vrai qu’à quantité égale. Et en pratique, il y a 500 fois plus de CO2 que de méthane dans l’atmosphère. La concentration de méthane est proche de 1900 parties par milliard, contre 410 parties par million pour le CO2 – l’équivalent de 410 000 parties par milliard. Le méthane demeure donc un gaz rare, ce qui en modère l’impact.

Methane anthropogenic_emissions_1860-1994
Image de Joshua Stevens, du NASA Earth Observatory, à l’aide de données du CDIAC.

De plus, contrairement au CO2, le méthane ne demeure pas très longtemps dans l’atmosphère – on estime qu’il se dégrade en 9 à 12 ans seulement. Autrement dit, son taux dans l’atmosphère mesure plus un flux qu’un stock permanent. Sans apport continu de nouveau méthane, le taux tomberait assez vite à zéro. Le grands émetteurs anthropogéniques sont, à part à peu près égales, l’industrie des carburants fossiles, l’élevage, la riziculture et les émissions des dépotoirs.

Et le méthane arctique?

D’où vient alors l’idée selon laquelle les émissions arctiques sont énormes et en forte croissance? Elle repose essentiellement sur les travaux d’une seule équipe, celle de Natalia Shakhova, de l’Université de Fairbanks, en Alaska. Elle estime, sur la base de ses travaux en Sibérie orientale, qu’il existe 1750 milliards de tonnes de méthane enfouies dans le sous-sol arctique. En 2010, elle a publié une étude montrant que des émissions de 50 gigatonnes sur cinq ans feraient monter le taux de méthane à 20 000 parties par milliards pendant une courte période.

Cette étude était passée relativement inaperçue jusqu’à ce que Peter Wadhams, de l’Université de Cambridge, ne calcule les effets d’une telle émission de 50 Gt sur le climat, en prenant comme hypothèse de départ que cette énorme libération de méthane aurait lieu entre 2015 et 2025. Les effets étaient évidemment désastreux. Ils ont donné lieu à une surenchère alarmiste, le biologiste Guy McPherson allant jusqu’à soutenir que l’humanité disparaîtrait avant moins de dix ans.

Une réalité beaucoup plus nuancée

La plupart des climatologues ne prennent pas les travaux de Shakhova ou de Wadham très au sérieux. Shakhova, en particulier, n’a jamais expliqué comment elle en arrivait à ce total de 1750 Gt, que ce soit sous la forme de méthane emprisonné dans le pergélisol ou d’hydrates de méthane sous-marins. Ces chiffres sont très contestés par la communauté scientifique : Carolyn Rupple, du US Geological Survey (agence géologique du gouvernement américain), estime par exemple que la quantité d’hydrates de méthane ne dépasse pas 20 Gt dans l’Arctique.

Par ailleurs, la quantité de méthane réellement présente n’est pas le seul enjeu. Pour qu’une libération rapide ait réellement lieu, il faut que les hydrates de méthane fondent rapidement. Mais ils sont enfouis dans des sédiments sous-marins sur des centaines de mètres de profondeur. La chaleur des océans ne les atteindra que très lentement, parce que ces sédiments ont une forte valeur isolante. Selon David Archer, de l’Université de Chicago, une telle fonte pourrait prendre… des milliers d’années. Le dégazage du méthane sous-marin n’est donc pas pour demain et sera au mieux très graduel.

Les mesures de Natalia Shalhova sont elles-mêmes remises en question. Bien qu’elle affirme avoir mesuré des panaches d’émissions présentant des concentrations de 8000 parties par milliard de méthane dans l’Arctique, d’autres équipes n’ont rien pu trouver dépassant 2000 ppb. On remet aussi en question l’importance des fameux cratères de méthane observés dans l’Arctique, puisqu’on ne sait pas si le phénomène est réellement nouveau ou s’il a toujours existé à l’insu de tous.

Indices géologiques

Bien qu’il n’existe pas encore de consensus scientifique très solide à ce sujet, il existe des indices donnant à penser qu’une libération massive de méthane ait pu jouer un rôle important dans les épisodes de réchauffement rapide de la fin du Permien (il y a 252 millions d’années) et du passage Paléoccène-Éocène (il y a 56 millions d’années). Ceci donne un certain poids à l’idée d’un possible emballement du réchauffement climatique par le méthane.

Mais reste à savoir si cela pourrait se produire dans les conditions actuelles, ou dans celles d’un futur proche. On possède des données d’excellente qualité pour la dernière période interglaciaire, il y a 125 000 ans. La température était 3 °C plus chaude que celle d’aujourd’hui et pourtant, le méthane ne dépassait pas 750 ppb. Pas de dégazage rapide à ce niveau de température, donc.

En conséquence, il n’existe pas d’éléments vraiment solides pour affirmer que nous pourrions connaître sous peu un dégazage massif du méthane arctique. Il est plus probable que les émissions continueront de croître à un rythme modéré. Le GIEC mise sur à peu près 4000 ppb de méthane dans l’atmosphère à la fin du siècle. Selon les plus récentes données de la NOAA, le CO2 est actuellement responsable d’environ 80 % environ du réchauffement climatique, contre 15 % pour le méthane.

Bref, si l’augmentation du taux de méthane dans l’atmosphère n’est pas une bonne nouvelle, il ne faut pas exagérer sa portée. Le CO2 demeure le véritable ennemi : il est de loin le principal gaz à effet de serre et le restera au moins jusqu’à la fin du siècle. Les modèles calculant les effets d’une possible « bombe méthane » donnent des résultats inquiétants, mais ce ne sont que des exercices théoriques, portant sur des situations peu probables.

 

Sources :

 

18 réflexions sur “La « bombe méthane », un pétard mouillé”

    1. je pense que ce serai mieux de réfléchir sur des maisons écologiques sur les arbres que de réfléchir sur comment arrêter des respirer sans mourir.

      J’aime

    2. Ce n’est pas la respiration qui dégage le plus de C02 mais les activités humaines et les gros engins polluants, la prochaine fois que je devrais aller de Paris à New York je prendrais le dirigeable c’est plus écologique que l’avion et plus rapide que le bateau

      J’aime

  1. Ok à condition que l’on n’oublie pas l’annotation « portant sur des situations peu probables ».
    Dans les années 80 les journaux français écrivaient souvent que le risque d’accident nucléaire était infime: de l’ordre de « une chance sur un million ». Ce que nous autres, pauvres hères, avons traduit par un million d’années …
    Et au final il y en a déjà eu trois à ma connaissance. Bon du haut de notre morgue française, celui de Tchernobyl ne compte pas puisque tout le monde sait bien que les soviétiques sont des « mauvais » pour être polis. Reste Three Miles Island et Fukushima. Bon les Ricains, cela est aussi bien connu, sont pourris par l’argent expliquant donc TMI. Reste Fukushima … Alors même si les français expliquent là encore une fois que cela ne saurait arriver en France (c’est bien connu que les Jap’s sont des ingénieurs médiocres et ont une qualité de réalisation de même n’est ce pas ?!), la probabilité de un pour un million a déjà eu au moins une occurrence illustrant qu’en fait il faut être conscient que la survenance de l’évênement peut arriver à tout moment. D’autant dans un environnement naturel aléatoire et non un environnement technologique connu …

    J’aime

  2. « le méthane ne demeure pas très longtemps dans l’atmosphère – on estime qu’il se dégrade en 9 à 12 ans seulement. » L’oxydation du méthane le transforme effectivement en CO2, qui lui reste dans l’atmosphère (c’est donc bien un apport), et en soufre, qui redescend (pluies acides) au sol, et dans la mer ou il contribue à l’acidification de l’eau. Quelqu’un a aussi évoqué le permafrost, qui contient non seulement du méthane se libérant bien plus rapidement que celui des fonds marins peu profonds mais aussi d’énormes quantité de CO2 ( https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-pergelisol-risque-liberer-co2-quantites-gigantesques-59701/ ). On a pourtant eu Cuvier, mais le catastrophisme s’oppose toujours frontalement à la pensée positive dominante qui reflète la tendance de notre espèce à vouloir tout maîtriser en s’auto-déifiant (volonté de toute-puissance – c’est d’ailleurs pourquoi les nuages radioactifs s’arrêtent à la frontière, comme chacun le sait), et le système binaire de notre âge informatique ne favorise pas vraiment la nuance entre les extrêmes.

    J’aime

    1. Oui, c’est juste. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il y a 500 fois moins de méthane que de CO2. Une fois le méthane dégradé, il ne pèse plus très lourd dans les équilibres globaux. On commence aussi à constater que le méthane du pergélisol ou des fonds marins est sérieusement dégradé par les bactéries avant d’atteindre la surface. Autrement dit, c’est un problème, mais probablement beaucoup moins important que ce qu’ont laissé entendre certains.

      J’aime

    2. Je voudrais bien qu’on m’explique comment l’oxydation du méthane (CH4) peut donner du soufre, sous quelle forme que ce soit. Sinon, le CO2 contribue effectivement à l’acidification des océans.

      J’aime

    1. Ce n’est pas du scepticisme: ce sont les données réelles et vérifiables. L’histoire de la «bombe méthane» est entretenue par un tout petit groupe de climatologues marginaux, qui ne sont pas tellement pris au sérieux par leurs pairs. Elle a été popularisé par Guy McPherson et d’autres militants très catastrophistes, mais elle ne repose pas sur grand chose. Les mesures du méthane dans l’air ne montrent aucune croissance explosive.

      J’aime

      1. – Le cycle du méthane est très complexe et les données des émissions de méthane ne semblent pas encore assez robustes à l’heure actuelle.
        – Par ailleurs, les boucles de rétro-action positives n’ont pas toutes été intégrées dans les modèles. Or celles-ci pourraient faire apparaître des non-linéarités et des effets de seuil impossible à prédire à l’heure actuelle.
        – Ne pas oublier que beaucoup de chercheurs sont aussi des citoyens lanceurs d’alerte qui apportent à leur communauté des éclairages sur de nouveaux phénomènes qui n’étaient pas pris en compte auparavant. Ils font des modèles « avec les mains » pour donner des ordre de grandeur. Tous bon scientifique commence par faire cela! Ensuite, le vrai travail commence et il faut des années de recherche et d’études de terrain pour élaborer de nouveaux scénarios réellement pertinent au niveau global.
        – Enfin « la majorité des scientifiques pensent que » est une affirmation qui n’apporte rien en science, surtout dans le domaine du climat. Seule compte la structure des données utilisées et la validation des modèles. Tout le reste, c’est de l’écume!

        J’aime

Laisser un commentaire