Une courte histoire du pétrole : 1. Des origines à l’ère moderne

Ce court survol de l’histoire du pétrole est destiné à un livre que je rédige à temps perdu. C’est un récit guidé par la géologie, qui ne s’intéresse pas à la géopolitique du pétrole, mais présente plutôt les jalons des techniques, de la production et de l’essor des principales zones pétrolières. J’espère recueillir des commentaires permettant d’améliorer la version finale.

Le pétrole est connu depuis la nuit des temps. Sa première utilisation connue remonte à 35 000 ans, en Syrie. Avant son exploitation systématique, il arrivait que de petits gisements affleurent en surface ou suintent le long de parois rocheuses. La région de Bakou, sur les rives de la mer caspienne, était connue pour ses flammes éternelles alimentées par de l’argile naturellement imprégnée de pétrole. On retrouvait jadis de petites flaques de bitume partout dans le monde et nos ancêtres en ont fait un usage important.

On trouvera ici la partie 2 et la partie 3.

La civilisation babylonienne utilisait l’asphalte pour calfater ses bateaux 4 000 ans avant notre ère. Elle l’a aussi utilisé comme mortier dans ses fortifications, qui ont tenu pendant des milliers d’années. Le site archéologique d’Ougarit, dans l’actuelle Syrie, contenait des faucilles en silex datant de l’âge de bronze et dont la lame était fixée en place à l’aide de bitume. Le récit biblique de l’exode précise que Moïse fut placé dans un boîte de payrus enduit de bitume et de poix. Selon la Genèse, Noé a lui aussi enduit son Arche de bitume. Les Égyptiens l’utilisaient également dans la préparation des momies.

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L’Asie ancienne connaissait aussi le pétrole. Les Birmans de l’Antiquité utilisaient des tuyaux de bambou pour forer des puits peu profonds. En Chine, on avait raffiné cette technique en ajoutant au tuyau de bambou de lourdes pierres que l’on remontait et laissait retomber à l’aide de cordes, forant un puit à l’aide de ces impacts successifs. Il sembleait qu’on ait ainsi foré des puits de 300, voire de 1 000 mètres de profondeur, où l’on puisait à l’aide de seaux. En Amérique centrale, les Olmèques s’en servaient il y a 3 000 ans pour imperméabiliser des toiles. Près de l’actuelle Los Angeles, la nation autochtone Yokut utilisait du bitume pour assurer l’étanchéité de ses canots.

En plus de ses usages en construction, le pétrole comportait de nombreux usages médicaux. Des squelettes âgés d’environ 13 000 ans, retrouvés à Riparo Fredian, en Toscane, présentent des dents dont les caries ont été réparées, puis comblées à l’aide d’un amalgame à base de bitume. Le médecin romain Celse mentionne également cet usage dans ou ouvrage rédigé en l’an 178 de notre ère. Pline l’Ancien évoque lui aussi les vertus thérapeutiques du pétrole dans son Histoire naturelle.

Dès le IIe siècle avant notre ère, les Chinois utilisaient le pétrole pour nettoyer les plaies. Les médecins arabes y avaient recours contre les pleurésies et les oedèmes, tandis qu’en Perse on l’utilisait pour consolider les fractures. Ces usages médicaux se maintiennent à travers l’histoire. Lors de la peste qui frappe Marseille en 1720, on fait brûler de l’asphalte en poudre dans la chambre d’un patient pour éloigner les insectes, soupçonnés de jouer un rôle dans la maladie. En 1826, Nicéphore Niepce crée une première émulsion photographique à base de bitume.

Naissance de l’industrie

Là où c’est possible, cet usage traditionnel du pétrole se fait à grande échelle. Lorsque les Arabes occupent la Perse, en l’an 640, ils découvrent des centaines de carrières de bitume et de naphte y nomment un fonctionnaire pour contrôler cette importante production. Les anciens Arabes savent également comment distiller le pétrole à l’aide d’alambics. Dès le Haut Moyen Âge, certaines rues de Bagdad sont recouvertes d’asphalte. La première rue asphaltée de Paris remonte à 1828, plus de 30 ans avant les débuts de l’industrie pétrolière moderne.

L’histoire de la « fontaine de poix » de Pechelbronn, en Alsace, illustre l’intérêt croissant pour le pétrole à l’aube de la révolution industrielle. L’existence de cet étang naturel de bitume est attestée dès la fin du Moyen Âge, mais en fait toute la région regorge de sable bitumineux. On sait que les paysans se servent du produit pour huiler leurs roues de charrette. De premiers efforts infructueux de vente commerciale ont lieu dès 1627. On y sépare l’huile par décantation à partir de 1700.

En 1740, Louis Pierre Ancillon de La Sablonnière fonde à Pechebronn la première société pétrolière cotée en bourse de l’histoire. C’est également la première raffinerie de l’histoire. On y sépare le bitume du sable en l’exposant à la vapeur, puis on le distille dans de gros alambics de fonte. L’entreprise creuse aussi des puits, à 10 mètres de profondeur en 1745, puis à 40 mètres en 1863. Elle subsistera pendant près de deux siècles, prenant le nom d’Antar en 1927 avant d’être rachetée par Elf Aquitaine, puis par Total, avant de disparaître en 2009.

La distillation du pétrole franchit une étape décisive en 1847, lorsque le Britannique James Young s’intalle près d’une source spontanée de pétrole à Alfreton, dans le Derbyshire. Ses travaux lui permettent d’obtenir des lubrifiants, du kérosène (pour les lampes) et de la paraffine (substitut peu coûteux de la cire, pour les bougies). La demande pour ces produits ne tarde pas à s’envoler et d’autres puits commerciaux apparaissent en 1853 en Pologne et en 1857 en Roumanie.

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Toutes ces exploitations demeurent toutefois creusées à la main à faible profondeur. En 1859, Edwin Drake, qui travaille près de Titusville, en Pennsylvanie, innove en utilisant une machine à vapeur pour forer un puits de 20 mètres dans du grès. Son exemple est vite suivi. C’est une activité dangereuse, qui se déroule dans un climat anarchique de ruée vers l’or. Les incendies sont fréquents. Le fameux puits de Drake est lui-même détruit par la feu après quelques semaines d’activité seulement.

L’essor de la production pétrolière est favorisé par la guerre de Sécession américaine (1861-1865), qui donne le coup de grâce à une activité baleinière en déclin et perturbe les livraisons de produits dérivés du bois, comme la poix et la térébenthine. Ceci crée une forte demande pour le pétrole. À la fin du conflit, le produit s’est déjà infiltré partout dans le société américaine et son commerce s’impose déjà comme une composante essentielle de son économie.

9 réflexions sur “Une courte histoire du pétrole : 1. Des origines à l’ère moderne”

  1. Information à vérifier. Il semblerait que la réputation des fameux jardins de Babylone tienne à ce que les accès étaient « goudronnés ». Ce qui, pour un jardin en terrasse facilitait j’imagine le ruissellement.

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  2. Pour la peste de Marseille en 1720, s’il est possible que l’on brûle de l’asphalte, ce n’est sûrement pas pour « pour éloigner les insectes, soupçonnés de jouer un rôle dans la maladie ». En effet, ce n’est qu’en 1898 que Paul-Louis Simond met en évidence le rôle de la puce dans la transmission de la maladie. Les théories médicales de l’époque supposait que la maladie était ou contatagioniste ou aériste. Dans ce dernier cas, on pensait que des miasmes circulaient dans l’air qui devenait nauséabond. Faire de la fumée en brûlant par exemple de l’asphalte pouvait purifier l’air. De là vient la mode de fumer le tabac qu’on pensait protecteur contre la peste ou le verbe empester (sentir la peste par un air corrompu).
    Je suis bien moins spécialiste de la préhistoire que de la peste, mais ça me semble bizarre qu’un squelette de 13 000 ans puisse avoir une carie. Les caries arrivant avec l’alimentation régulière des céréales et donc de l’agriculture qui s’est installée bien plus récemment en Toscane.
    Cordialement

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  3. Bonjour M. Gauthier ,
    Rédigeant moi-même un ouvrage sur la conquête de l’énergie, dans la partie traitant du problème du pétrole en Alsace je vous demande l’autorisation de reproduire les deux paragraphes que vous avez écrit à propos de Pechelbronn, bien sûr en citant votre gracieuseté (je crois que c’est ainsi que l’on dit au Québec).
    Vous pouvez me répondre sur mon adresse mail : srochain@gmail.com
    Merci d’avance

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