Avant les serres chauffées en verre, il y a eu les murs à fruits. Cette technique passive, qui n’utilisait que la chaleur du soleil, s’est diffusée partout dans le nord de l’Europe à partir du XVIe siècle. Les maraîchers y ont massivement eu recours jusqu’à la fin du XIXe siècle. L’ajout de panneaux en verre aux murs existants a progressivement mené à l’invention de la serre moderne vers 1890. La recherche de solutions moins énergivores ranime actuellement l’intérêt pour le mur à fruits.
Le mur à fruits trouve son origine dans les travaux du botaniste suisse Conrad Gessner, qui a observé dès 1561 que la chaleur du soleil qui s’accumulait dans les murs de pierre accélérait le mûrissement des figues et des raisins plantés à proximité. L’idée se diffusa rapidement et dès le XVIIe siècle, par exemple, les murs érigés spécialement pour favoriser la culture des fruits étaient devenus la norme dans les maisons de campagne anglaises.
L’idée donna peu à peu naissance à de grandes concentrations de productions maraîchères. En créant plusieurs petits enclos entourés de murs de 2,5 à 3 mètres de hauteur et espacés de 9 à 10 mètres, on coupait le vent et l’on pouvait augmenter la température locale de 8 à 12 °C. De plus, ces murs offraient une masse thermique qui libérait de la chaleur pendant la nuit, ce qui évitait les gels tardifs. Ces petits enclos pouvaient aussi être couverts de toiles par temps froid, pour y retenir la chaleur.
Dans certaines régions, les murs à fruits furent l’objet d’une véritable industrie. La ville de Montreuil, en banlieue de Paris, était connue pour sa production de pêches, un fruit normalement cultivé en région méditerranéenne. En 1870, une zone de 300 hectares était recouverte de 600 km de murs et on y produisait plus de 15 millions de pêches par année, en climat frais et sans la moindre énergie fossile.

À Thomery, à 60 km au sud-est de Paris, on produisait 800 tonnes de raisin sur 150 hectares de terres couvertes de 300 km de murs. Les cultivateurs locaux avaient aussi inventé une remarquable méthode pour la conservation du raisin. Ils plantaient la tige fraîchement coupée des grappes dans des bouteilles remplies d’eau, dans des caves. Dans ces conditions, le raisin pouvait se conserver jusqu’à six mois, sans avoir recours à la chaîne du froid moderne.

Les Hollandais furent aussi de grands utilisateurs de murs à fruits. Leurs murs, souvent en brique, étaient moins épais que ceux érigés en France. Ils compensaient en leur donnant une forme en zigzag qui leur conférait plus de stabilité, tout en créant des niches au microclimat encore plus chaud que sur un mur plat.
Vers la serre moderne
De manière inattendue, les murs à fruits sont les ancêtres directs des serres modernes. Il était difficile de produire du verre plat de grande dimension avant le XIXe siècle, mais l’usage de cloches de verre pour protéger les jeunes plants est attesté dès le début du XVIIe. Vers 1850, les maraîchers belges et hollandais commencèrent à assembler du verre plat en grands panneaux qu’ils appuyaient contre les murs. Cette méthode offrait plus de protection contre les intempéries, tout en retenant plus de chaleur.

Ces murs améliorés par des panneaux de verre étaient encore des structures passives qui tiraient parti de la masse thermique du mur. On pouvait aussi dérouler des nattes sur les panneaux de verre la nuit, pour améliorer leurs propriétés isolantes. En 1881, 22 des 178 km de murs à fruits de la région du Westland, en Hollande, étaient vitrés.
Détail intéressant, cette méthode du verre adossé à des murs avait d’abord été expérimentée dès le IIe siècle par les Romains, qui savaient fabriquer du verre plat de grande dimension. Mais la technique, qui ne fut utilisée qu’à petite échelle, fut perdue à la chute de l’empire. Les Chinois et les Coréens eurent aussi recours, dès le Moyen-Âge, à une technique comparable où le verre était remplacé par un papier huilé.
Les premières serres modernes, tout en verre, sont apparues vers 1890 en Belgique. Leur apparition a été rendue possible par des méthodes industrielles permettant de fabriquer de grands panneaux de verre plat à faible prix, ainsi que par la diffusion des carburants fossiles, qui ont permis de se passer de la masse thermique du mur. Plus pratique, la serre moderne est également très énergivore. Nous verrons peut-être un retour des techniques passives traditionnelles pour cette raison.
Sources :
- Fruit Walls: Urban Farming in the 1600s
- Murs à pêches (Montreuil)
Merci ! Vous m’avez appris beaucoup de choses.
Au, fait, à l’avant dernier paragraphe, lorsque vous parlez de « petite échelle », vous semblez désigner un petit territoire. Mais la « petite échelle » sont sur des cartes représentant un grand territoire (carte du Canada au 1/1 000 000) alors que les grandes échelles sont sur des cartes représentant un petit territoire (carte de Montréal au 1/10 000), tout simplement parce que les échelles sont des rapports. Enfin tout cela est relatif. Cordialement.
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Je parle bien entendu d’échelle de production (petites quantités) pas de l’échelle de carte.
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