Le nucléaire inefficace comme réserve d’énergie pilotable

Les énergies intermittentes ont besoin de sources d’énergie pilotables pour compenser leurs périodes de faible production. Le nucléaire peut-il efficacement jouer ce rôle? Craig Morris, fellow de l’Institute for Advanced Sustainability Studies de Potsdam, croit que non. Dans un récent rapport de 57 pages, il décrit les résultats d’un intense débat scientifique qui a eu lieu en Allemagne il y a dix ans. Peu diffusée en dehors du monde germanophone, cette discussion a débouché sur l’abandon du nucléaire allemand.

Au cœur du débat, deux questions fondamentales. D’abord, le nucléaire est-il réellement pilotable, c’est-à-dire, peut-on rapidement ajuster sa production en fonction de rapides variations de demande d’électricité? Et ensuite, le nucléaire « pilotable » favorise-t-il vraiment l’adoption des énergies renouvelables, ou est-il par lui-même un verrou technique à leur diffusion?

Craig Morris estime, sur la base d’études réalisées en Allemagne, que le nucléaire n’est que peu pilotable en pratique et que son maintien aurait retardé l’adoption des renouvelables. Le choix du gaz naturel comme énergie de soutien serait donc davantage favorable aux renouvelables à long terme, en dépit des émissions de carbone associées. Ce qui suit est un résumé de son argumentaire.

Le nucléaire, peu pilotable

En fait, insiste-t-il, on connaît peu les effets d’une rapide montée n puissance sur les réacteurs nucléaires. Il y a eu peu d’études et leurs résultats ne sont souvent pas publics. Les experts présentent parfois les réacteurs comme très pilotables et parfois, comme pas du tout, ce qui accroît la confusion. L’Allemagne semble avoir été le seul pays à mener des essais à grande échelle sur plusieurs réacteurs à la fois, vers 2010.

Nuclear ramping
Taux et temps de montée en puissance de diverses sources d’électricité.

Les résultats montrent que les réacteurs nucléaires ne sont pas à la hauteur de la tâche, non pas pour de simples raisons de coût, mais pour des raisons techniques : la puissance n’augmente pas à un rythme suffisant pour suivre les rapides variations des énergies intermittentes. De plus, des ajustements de production à des niveaux relativement peu élevés ont suffi à mener le réacteur de Brokdorf à la panne – le seul cas où l’on a admis que la montée en puissance était responsable, mais d’autres ont peut-être été tenus secrets.

Les analystes allemands en ont conclu qu’il existait un « conflit systémique » (systemconflikt) et que miser sur le nucléaire pour équilibrer les productions intermittentes allait provoquer des black-out récurrents. Les données actuelles avec plus de 20 % d’éolien et de solaire montrent que l’intermittence est principalement gérée par le gaz et le charbon. Comme prévu, le nucléaire qui subsiste en Allemagne se montre très peu pilotable en pratique.

Montée en puissance nucléaire France

Qu’en est-il en France? Les experts d’EDF font valoir que la flotte française est la plus pilotable au monde, mais en pratique, cette adaptabilité reste très limitée et aurait déjà atteint ses limites dès 2016. Dans les faits, les Français ne sont pas capables d’augmenter la production de plus de 10 % en une heure. De plus, la méthode retenue semble semble consister à « sacrifier » une poignée de réacteurs (notamment Golfech) pour permettre aux autres de produire de la manière la plus stable possible. En fait, la montée en puissance maximale serait de l’ordre de 5,36 GW en une heure, le quart de la valeur souvent annoncée.

Un pont technologique douteux
Craig Morris affirme aussi que l’idée que le nucléaire est un « pont technologique » se fonde davantage sur des arguments politiques et la recherche du consensus que sur des arguments techniques vérifiables.
Sur le terrain, insiste-t-il, la caractère peu pilotable du nucléaire complique et retarde l’adoption des technologies renouvelables. La position de la France, qui souhaite appuyer sa transition sur le nucléaire lui semble manquer de transparence et ne pas tenir compte des limites pratiques de réacteurs.

Reactor Swings France
Les limites de la variabilité de la production nucléaire française.

La transition énergétique allemande, observe Morris, a fort à faire pour justifier ses niveaux élevés d’émissions de carbone. En somme, se désole-t-il, le choix semble être entre le nucléaire, qui est peu carboné, mais qui constitue un verrou technique à la diffusion des renouvelables, ou un système pilotable ayant recours au gaz et/ou au charbon, qui favorise l’adoption des renouvelables, mais qui est plus carboné. C’est un enjeu qui aura d’énormes répercussions non seulement en France, mais aussi dans des pays comme la Chine et l’Inde, très tentées par le nucléaire.

Source :

Craig Morris, Can reactors react? (PDF, 57 pages)

 

14 réflexions sur “Le nucléaire inefficace comme réserve d’énergie pilotable”

  1. Très intéressant, comme d’habitude.
    Reste que toutes ces analyses omettent encore et toujours un élément majeur: les déchets nucléaires que nous allons laisser à des milliers de générations à venir. Et cela est irresponsable. Chaque parole/écrit se rapportant de près ou de loin au nucléaire devrait rappeler ce fait.

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    1. Philippe, les pays où le nucléaire ne représentent qu’une partie minoritaire de la production le font fonctionner en base et n’ont pas développé les techniques de suivi de charge. En France, le nucléaire, du simple fait qu’il produit près des 3/4 de notre électricité, fait, obligatoirement si j’ose dire, du suivi de charge. Sa flexibilité n’est pas parfaite, mais elle vaut largement celle des centrales à charbon allemande

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      1. @ Bernard Durand : En fait, ce n’est pas vraiment le nucléaire qui assure le suivi de charge en France, d’ailleurs, à ma connaissance, mais sans savoir précisément combien d’entre eux et lesquels en sont capables, il n’y aurait que les derniers réacteurs construits qui auraient été équipés d’alternateurs à inducteurs capable de réguler la puissance de sortie. De toutes les façons, les 34 réacteurs de 900MW, les plus anciens, n’en sont pas capables.
        Ce qui assure le suivi de charge en France c’est l’hydraulique essentiellement; et quelquefois appuyé par les centrales à gaz. C’est d’ailleurs très facile à vérifier en consultant les courbes de productions fournies en temps réel par RTE pour chaque source. On peut y voir que tous les matins en cette période lorsque démarre l’activité économique vers 6h30 avec les trains de banlieue et les TGV qui quittent les gares parisiennes vers la province, l’hydraulique double ou triple sa participation alors que le nucléaire reste désespérément constant. Et cela dure jusqu’à ce que le solaire commence à fournir ce qui permet à l’hydraulique de descendre sa participation, jusqu’au petit pic de 19 heures lorsque les occupants retrouvent leurs appartements laissés depuis le matin avec un chauffage au ralenti et qu’il faut regagner les points de conforts perdus durant la journée. Ensuite l’activité économique étant au minimum pour la nuit c’est le chauffage de millions de m3 d’eau sanitaire qu’il faut monter en température et nous voyons toujours le nucléaire suivre son train de sénateur…. regardez chaque jour, c’est édifiant :
        https://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-mix-energetique
        Bonne soirée.

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      2. Réponse à Rochain
        Des alternateurs a inducteurs capables de réguler la puissance de sortie! J’aimerai bien comprendre ce que vous dites, je suis ingenieur electrotechnique et j’ai fait la mise en service de 3 de ces alternateurs, un alternateur ne peut modifier que la puissance réactive (les MVar) en ajustant le courant inducteur, ce qui permet de controler la tension du point de raccordement, pour la puissance active delivrée par l’alternateur c’est en modifiant le couple transmis par la turbine que vous y arriverez. La puissance active est donc controlée par la vanne d’entrée de vapeur de la turbine à vapeur et en fonction de ça le réacteur ajustera sa puissance thermique.
        En France, comme EDF gère convenablement son argent, pour satisfaire la demande c’est d’abord les centrales qui produisent au moins chère qui sont sollicitées, c’est a dire le nucléaire, qui va tourner presque au maximum de sa puissance. Ce sont les énergies plus couteuses qui viennent ensuite jusqu’au charbon en final. Il serait donc anti économique de faire le pilotage en gardant les productions couteuses et en faisant varier les productions à plus faible coût. La tranche nucléaire est néanmoins pilotable si on choisi cette stratégie. Dans le pilotable il faut considérer d’autres critères comme le temps de mise en marche depuis l’arrêt et la rampe de prise de charge, et là c’est l’hydraulique de chute qui est imbattable ensuite la turbine à combustion (centrale à gaz) qui se place juste après, c’est pourquoi l’Espagne c’est dotée de nombre de turbine à combustion à mesure que le nombre d’éoliennes augmentait.

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      3. Réponse à Livernais Daniel :
        Bonsoir, je veux dire des alternateurs dont le rotor, en l’occurrence l’inducteur, n’est pas à aimant permanent mais un électroaimant dans lequel l’injection d’un courant permet de modifier le niveau du flux magnétique jusqu’à saturation du stator d’après ce que je retiens dans mes souvenirs d’électrotechniques.
        Nous sommes bien d’accord sur le fait que la puissance de sortie de l’alternateur n’est que celle impulsée par la turbine, et même plutôt celle du flux qui entraine la turbine. Mais si pour modifier la puissance de sortie vous vous contentez de faire varier l’ouverture de la vannée de vapeur sous pression, vous modifiez la vitesse de rotation de la turbine et donc celle du rotor de l’alternateur et donc la fréquence du courant que vous injectez sur le réseau…. ? Comment réglez-vous ce problème ?
        Merci de votre aimable réponse.

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    2. @Thierry Lorand, s’il y a un élément majeur, c’est celui qui consiste à terroriser les ignorants avec le danger des déchets pour les générations à venir. Si bien que la ménagère qui vit à Bordeaux craint des déchets qui seront enfouis à 500 mètres sous terre en Lorraine. ç’est l’équivalent de la peur du diable que brandissaient les prêtres au Moyen Âge pour conserver leur pouvoir sur les esprits.

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    3. Thierry avez vous pensez aux millions de tonnes de CO2 que nous mettons dans l’atmosphère pour des milliers d’années avec le déréglement climatique qui l’accompagnera, n’est-ce pas un héritage pire pour nos futurs générations? Les déchets nucléaires enfouis, on en parle plus que du CO2 mais ils ne poseront pas de problème

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      1. Pas de problèmes, les déchets nucléaires? Je ne sais pas sur quelle planète vous vivez, mais les sites contaminés et dont on ne sait que faire ne manquent pas, partout dans le monde. Il y en a même qui sont menacés par la montée des océans. Sans compter les stocks requalifiés comme «ressources» et utilisés pour fabriquer des horreurs comme le munitions à uranium appauvri, qui brûlent en créant une pollution chimique persistante.

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  2. Je crois savoir que tous les réacteurs ne sont pas pilotables car les inducteurs de leurs alternateurs sont constitués d’aimants permanents, et je ne trouve nulle part l’indiction de réacteur pilotable (dispatchable comme ils disent), ou non.
    Notamment dans la liste des réacteurs en service de du Wikipedia il y a de nombreuses colonnes donnant des détails quelquefois de faible intérêt …. mais pas celui là. Serait-ce un secret d’état ?

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  3. @Rochain, si, comme vous l’expliquez bien, l’hydraulique est privilégié par rapport au nucléaire pour faire du suivi de charge, ne serait-ce pas simplement parce qu’il est plus pilotable que le nucléaire, rendant inutile, dans les exemples cités, la montée en charge des centrales nucléaires ? La pilotabilité du nucléaire étant certes limitée, le nucléaire ne peut excéder une certaine part du mix énergétique dans un état souverain de son énergie.

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    1. @Augustin :
      Votre remarques est pertinente et ce seuil est probablement déjà dépassé en France depuis longtemps, où le serait SI…. SI quoi ?
      Si l’on n’avait pas modelé la façon de vivre des populations pour l’adapter aux contraintes du régime laminaire des réacteurs nucléaires depuis les années 60. Forte de cette possibilité EDF n’a donc par hésité à ne construire pendant longtemps que des centrales incapables de réagir aux variations sachant que l’hydraulique qui était là avant pouvait à elle seule suffire à amortir les variations résiduelles de charge sur le réseau. Ce n’est effectivement que la part croissante des production variables qui a pousser EDF a équiper ses derniers réacteurs d’alternateurs capables de moduler leur puissance de sortie, ce qui est délicat car il faut en contrepartie garder l’équilibre du couple avec la turbine qui entraine l’alternateur sinon, la phase de sortie pend soit de l’avance soit du retard sur celle du réseau. Pour garder cette équilibre le pilote de tranche doit jouer des barres neutrophages de commande qui régule la température dont la puissance de la vapeur produite et donc la puissance de la turbine tout en maintenant constante sa vitesse de rotation. Les deux opérations (induction magnétique Rotor/stator de l’alternateur et gradient de température) doivent être parfaitement synchronisées et la marge de manœuvre est faible. Mais je vous disais qu’EDF avait modelé notre façon de vivre, comment ?
      Le plus visible au niveau de la population est de faire chauffer l’eau sanitaire de nuit, afin de réserver toute la puissance pour la journée lorsque le premier consommateur d’énergie, l’activité économique est au plus haut (comme le Soleil d’ailleurs). Ensuite viennent les recommandation au secteur du bâtiment, privilégier les radiateurs à accumulation qui chauffent également de nuit.
      J’ai mesuré durant plus sieurs mois ce que représentaient le chauffage nocturne de l’eau sanitaire, en déconnectant le ballon d’eau chaude au moins une fois par semaine en faisant varier le jour. Il est à lui seul responsable de du tiers au trois quarts de la consommation au tarif nuit, c’est énorme ! et démontre comment EDF au lieu d’assurer le suivi de charge a plutôt modifier nos habitudes pour les adapter au régime de production constant des réacteurs nucléaires. Dans les industries fortes consommatrices d’énergie les méthodes de travail ont été également changées pour s’adapter à ce régime constant. J’ai travaillé au début des années 60 dans une entreprise qui produisait toutes sortes de pièces en caoutchouc par pressage et vulcanisation et l’usine a été transformée de même que la façon de travailler lorsqu’EDF qui ne savait manifestement pas quoi faire de sa production nocturne, en pleine croissance nucléaire est venu nous faire des propositions plus qu’alléchantes pour nous fournir l’énergie à un prix défiant toute concurrence, et j’ai toutes les raisons de croire que nous n’avons pas été les seules. Toutes les communes de France se sont illuminés la nuit jusqu’au dernier des villages au nom de la sécurité ( ?)…. Voilà ce que j’appelle modeler sa clientèle pour qu’elle s’adapte au produit. Pourquoi faire un suivie de charge variable si on peut faire en sorte qu’elle ne varie pas ?

      La réponse vous satisfait-elle ?

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  4. Bonjour,
    dans l’article il est dit:
    « miser sur le nucléaire pour équilibrer les productions intermittentes allait provoquer des black-out récurrents ».
    Et c’est la réalité puisque pour faire cet équilibre on met en place des moyens de productions Gaz ou Charbon.
    Ce qu’il convient de faire, n’est pas de jeter le discrédit sur le nucléaire qui avec quelques tonnes de combustible produit les 80% de l’électricité d’un pays comme la France, mais d’arrêter de se voiler la face en construisant des systèmes intermittents par définition qui n’ont de renouvelable que le nom.
    Je considère que ces EnR photovoltaïques et éoliens n’ont rien à faire dans le paysage de notre pays; dussè-je contrarier ses bienfaiteurs. Ils sont beaucoup trop couteux en matériaux pour le rendement final et dire qu’ils sont non polluants en CO2 est une plaisanterie au mieux, un mensonge au pire.
    De plus, du fait de leur intermittence; mais aussi de la prépondérance qu’ils prennent sur le réseau, (obligation pour l’opérateur de les accueillir dès que la production est là) ils obligent à repenser complètement celui-ci et le renforcer alors qu’il était correctement dimensionné.
    Pour finir, je pense que le nucléaire est plus pilotable que ce que veulent bien le dire leurs détracteurs; et le fait que l’étude soit Allemande n’est pas étranger à ce fait; mais que ce sont les EnR qui posent problème. Si nous avions mis l’argent qui leur est consacré sous forme de subventions, d’augmentation du prix; sur le nucléaire, nous aurions un parc suffisamment puissant pour passer les pics sans problème et sans risque de black-out. Le problème vient des décisions; un pas en avant, un pas en arrière, et faisons la valse à trois temps.
    Quant aux déchets:
    ceux-ci sont courants dans toute l’industrie et même ailleurs pourvu qu’on modifie un état à une matière. Ils sont dangereux à peu près partout. Ceux qui sont issus du nucléaire le sont plus que d’autres; soit; mais ils sont gérés ma semble-t-il à la hauteur de cette dangerosité. Je ne suis pas certain que certains industriels du photovoltaïque aient une rigueur à cette hauteur; mais comme cela se pratique assez loin de chez nous et dans des pays plus opaques; cela nous arrange bien.
    De plus s’ils sont plus dangereux, ils sont aussi moins importants en quantité; ce qui favorise leur gestion. Après on peut toujours discuter de celle-ci et l’Allemagne si vertueuse n’est pas sans ambiguïté sur ce sujet. Ce qui est important, c’est de ne pas confondre le civil et le militaire dans le domaine, chose qui est faite continuellement; même si en nombre de morts, les armes conventionnelles sont à ce jour nettement en avance.
    Je crois que ce qu’on connaît mal fait peur et c’est la principale source des dénigrements que l’on fait à l’énergie nucléaire. Celle-ci prouvant malgré tout son utilité, on cherche d’autres angles d’attaque; mais au final, même les pays les plus récalcitrants reviennent peu à peu sur leur décisions au vu du réel, qu’il ne faut pas oublier; sous peine de se faire rattraper par lui.
    Pour finir et comme à mon habitude je dirai que si on veut limiter les impacts des pays développés sur le climat:
    – l’énergie nucléaire est d’une telle puissance que parler de transition écologique sans elle, c’est prendre le risque de se passer d’un amortisseur absorbant les chocs dus à la baisse de la disponibilité en énergie choisie ou subie.
    – le plus important est de se préparer à avoir moins d’énergie; donc moins de biens; moins de croissance, moins d’industries, plus d’agriculture de subsistance et un niveau de vie qui va décliner. Ce qui ne veut pas dire que ce sera invivable; du moins pas pour tout le monde.

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    1. https://www.alternatives-economiques.fr/une-electricite-100-renouvelable-france-possible-cher/00094758?utm_campaign=sharing&utm_content=linkedin
      CÔTÉ RECHERCHE
      Une électricité 100 % renouvelable en France : possible… et pas cher
      ANTOINE DE RAVIGNAN 04/12/2020

      La France pourrait se passer des énergies fossiles et fissiles pour couvrir ses besoins en électricité à l’horizon 2050, pour un coût égal ou inférieur au coût actuel, selon une étude du Cired.
      C’est une étude embarrassante pour la direction d’EDF, les industriels concernés, les élus et ceux parmi l’exécutif qui veulent engager la France dans un plan de construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour rajeunir un parc de centrales arrivant en fin de course. Le 19 novembre, trois chercheurs du Cired1 ont publié dans The Energy Journal, une revue scientifique à comité de lecture, un article sur ce que seraient les coûts futurs d’un système électrique 100 % renouvelable en France métropolitaine, en intégrant les incertitudes fortes qui entourent ce sujet.
      Leur conclusion, après analyse de 315 scénarios de coûts : en 2050, un tel système, investissements compris, ne coûterait pas plus cher que celui qui existe aujourd’hui, soit de l’ordre de 52 euros par MWh hors coûts de réseau (21,4 milliards d’euros par an).
      Une demande stable
      Comment Behrang Shirizadeh (Cired-Total R&D), Quentin Perrier (I4CE et ex-Cired) et Philippe Quirion (Cired-CNRS) parviennent-ils à ce résultat ? C’est un travail de modélisation qui repose sur des hypothèses de demande et de coûts futurs.
      Côté demande, le scénario est celui projeté par l’Ademe en 2050 : la forte progression du véhicule électrique et de la consommation d’électricité dans l’industrie est compensée par les économies d’énergie réalisées partout ailleurs, si bien que la consommation globale reste stable. Celle-ci est modélisée au pas horaire : la production renouvelable doit répondre à la demande de chaque instant, aussi bien à minuit le 1er juillet quand elle est faible, que le 1er janvier à 18 heures quand elle est très élevée.
      Prudents, les auteurs ont choisi d’intégrer dans leur modèle des contraintes fortes sur la demande : le recours aux importations est exclu, de même que les effacements de consommation en période de pointe, par exemple en pilotant grâce aux « réseaux intelligents » l’usage d’appareils électriques domestiques.
      Fort potentiel de l’éolien et du photovoltaïque
      Pour répondre à cette demande, les moyens les moins coûteux et qui offrent le plus grand potentiel de déploiement sont, sans surprise, l’éolien et les grandes installations photovoltaïques, qui représentent dès lors l’essentiel du mix électrique en 2050 (46 % pour l’éolien terrestre, 11 % pour l’éolien marin et 31 % pour le solaire). Les hypothèses de coûts sont celles du JRC, le centre de recherches conjoint de l’Union européenne, comparables à celles d’autres institutions, et le productible a été étudié sur la base de dix-huit années de données météo (2000-2017).
      Bien entendu, ces sources très majoritaires sont variables et non pilotables, si bien que pour faire coïncider à tout instant la courbe de l’offre avec celle de la demande, il faut « boucher les trous ». D’une part, avec des centrales à biogaz (environ 3 % du mix électrique) et l’hydraulique de barrage (6 %) ; d’autre part, avec le stockage de l’électricité lorsque sa production excède la demande (l’été principalement).
      Les moyens de stockage mobilisés sont les stations de pompage (Step) qui remontent l’eau dans des barrages, la méthanation (qui transforme l’électricité en hydrogène, puis en méthane qui peut alimenter une centrale thermique) et les batteries. Là encore, le modèle est volontairement pessimiste puisqu’il exclut de stocker les surplus via les batteries des véhicules électriques branchées au réseau. Une conclusion intéressante de l’étude est que le coût du stockage ne doit pas être surestimé : de l’ordre de 15 % du coût total d’un système électrique modélisé, lui-même proche du coût actuel.
      Bref, comme celui qu’avait déjà publié l’Ademe en 2015, ce travail montre qu’un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 n’est pas disqualifié par l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque ni par les coûts du stockage. Loin d’être techniques ou économiques, les freins sont surtout politiques : intérêts du lobby nucléaire et oppositions locales au déploiement des renouvelables.
      Solaire et éolien substituables
      Une autre conclusion importante de cette étude (dont les données sont ouvertes, ce qui permet d’en faire jouer les paramètres et d’en tester la robustesse) est que les technologies solaire et éolienne sont en bonne partie substituables. On peut ainsi mettre l’accent sur une filière plutôt que sur une autre et faire varier les choix au fil du temps en fonction de l’évolution des coûts, sans que cela ne conduise à des impasses techniques pour répondre à la demande.
      Mais au fait, quel est le coût d’un scénario 100 % renouvelable par rapport à un autre qui comporterait – au hasard – 50 % de nucléaire ? Quel serait le mix électrique optimal en matière de coûts ? Réponse très attendue dans une nouvelle modélisation annoncée par les auteurs le 14 janvier.
      • 1.Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CNRS-Cirad-Ecole des Ponts ParisTech-AgroParisTech-EHESS).

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